À la lumière de la pandémie du Coronavirus, qui a frappé le monde, les avertissements des experts se sont intensifiés, affirmant que l’isolement social croissant, la dépression qui se propage, les théories du complot qui circulent à tambours battants et le sentiment de marginalisation qui prévaut pendant cette pandémie, accentuent le risque d’extrémisme chez les jeunes. Tout au long de l’histoire, les groupes extrémistes n’ont cessé d’exploiter les griefs sociaux et économiques pour inciter à la violence. Ainsi, Al-Qaïda et Daech ont régulièrement profité des griefs en Palestine, en Syrie, en Irak et dans d’autres pays pour obtenir soutien et appui.

Profiter de la situation

Récemment, Al-Qaïda, Daech et d’autres groupes extrémistes se sont précipités pour instrumentaliser la pandémie du Coronavirus, la qualifiant de soldat de Dieu, profitant en cela de l’instabilité croissante dans le monde, dénonçant l’état de saturation capitaliste dans lequel sombre le monde occidental et la poigne de fer avec laquelle de nombreuses sociétés sont gouvernées. De même, dans le sillage de l’étincelle de colère populaire américaine et internationale causée par le meurtre de George Floyd, un Afro-américain, commis par un officier de police américain blanc, Al-Qaïda s’est présenté en champion sauveur qui soutient les victimes de la brutalité policière et du racisme et défend leurs droits.

Si nous regardons l’autre face du drame, nous verrons que les nationalistes blancs blâment les juifs et en font des boucs émissaires, prétendant qu’ils ont forgé cette pandémie pour profiter de l’effondrement du marché. Cependant, la situation est plus complexe que cela, des groupes d’extrême droite américains ont encouragé leurs membres infectés par le virus à pulvériser des liquides suspects contre les officiers police et les juifs, selon les renseignements et le FBI. Dans ce contexte, il convient de noter qu’aux États-Unis d’Amérique, le terme «Droite Alternative», est apparu pour la première fois en Novembre 2008, lors de la crise financière mondiale, la pire crise économique mondiale qui soit depuis la grande crise des années trente. 

Dans le Documentaire intitulé: «Droite Blanche: Ennemi en face», le Cinéaste a demandé au parti politique néo-nazi américain pourquoi il a déménagé à Détroit. La réponse a été la suivante: «C’est le moment idéal pour embaucher davantage de membres en raison du ralentissement économique». La situation n’est pas très différente ailleurs. Un Rapport de l’ONU intitulé: «Voyage vers l’extrémisme au cœur de l’Afrique», a révélé que 55% des terroristes recrutés expriment leur frustration en raison de leurs conditions économiques. 83% se sentent marginalisés et pensent que leur gouvernement ne se soucie que des intérêts d’un petit groupe de personnes. Plus de 75% ne font pas confiance aux institutions de gouvernance et d’application de la loi. En conséquence, ceux qui ont exprimé leur peu de confiance envers leurs gouvernements et leur capacité à réaliser des changements significatifs à l’horizon étaient les plus vulnérables à l’extrémisme.

L’Organisation Internationale du Travail considère que l’épidémie du Coronavirus fera perdre à près de 200 millions personnes leurs emplois au deuxième trimestre de l’année en cours, ce qui prouve que cette épidémie est pire que la crise financière qui a sévi dans le monde dans les années 2008-2009. Dans un contexte connexe, la Banque Mondiale a publié un Rapport récent dans lequel elle révélait que cette pandémie représente la récession mondiale la plus grave depuis la Seconde Guerre Mondiale. Les États fragiles restent les plus vulnérables. Quiconque lit entre les lignes saura que lorsque le gouvernement ne parvient pas à subvenir aux besoins de son peuple, les groupes terroristes n’hésiteront pas à prendre le relais et à fournir des soins sociaux aux gens. Et à travers ce contrat social difficile à rompre, les défaillances sociales sur lesquelles les groupes militants se nourrissent leur accordent immunité et droit d’action.

Après le passage de la pandémie, il se peut que l’on ne puisse pas payer le coût de la violence qui aurait dû être prévenue et évitée. En 2018, l’économie mondiale a engagé 33 milliards de dollars pour faire face au terrorisme, sachant que ce chiffre n’inclut pas les répercussions sociales, ni les pertes économiques indirectes que le monde des affaires et le secteur de l’investissement ont subies, ni même les coûts associés aux agences de sécurité dans la lutte contre le terrorisme. Alors que la communauté internationale s’apprête à tracer un nouveau chapitre de sa guerre contre le terrorisme au cours et après cette pandémie, des leçons pleines de sagesse émergent, quoique quelque peu non conventionnelles, qui méritent que nous nous rafraichissions un peu la mémoire pour pouvoir cultiver notre jardin comme il se doit.

Fièvre de compétition 

Le Califat représente pour le combattant ordinaire une société fictive, fondée sur le pilier des griefs communs, et sur le portail duquel est écrit en gros «Promesse accomplie». Les groupes de militants extrémistes parviennent à gagner très subtilement la sympathie des hordes de jeunes marginalisés, mécontents de leur sort et dépités par la vie, quelles que soient leurs idées et leurs croyances religieuses. Ils redoublent d’attention pour offrir ce qui leur manque à ces jeunes, saisis par un désir inextinguible de se sacrifier pour la dignité, les opportunités prometteuses et le sentiment d’appartenance.

Il semble que nous ne soyons pas conscients du fait que nous dissimulons à peine, que cela nous plaise ou non, que nous nous sommes impliqués dans un mouvement fiévreux de concurrence avec les organisations terroristes pour répondre à ces besoins humains fondamentaux. Plutôt que de restreindre la portée de notre attention à la réalisation de l’objectif déclaré du Califat, nos efforts devraient être de leur fournir une version plus authentique et durable de l’intégration sociale et économique que les terroristes prétendent leur offrir. En fait, la défaite était cuisante et la déception grande pour ces combattants étrangers particulièrement formés, de voir le soi-disant État Islamique (Daech), faillir à ses promesses et s’effondrer, ce qui a incité beaucoup d’entre eux à renoncer à leur loyauté envers le groupe et à l’abandonner.

De nombreuses études menées par diverses organisations, groupes de réflexion et académies militaires ont révélé qu’environ 65% des combattants formés à l’étranger n’avaient pas terminé leurs études secondaires, et qu’environ 90% d’entre eux sont au chômage, ou qu’ils occupent des emplois nécessitant peu de compétences. Beaucoup d’entre eux gagnaient moins de 500 $ par mois. L’Organisation Boko Haram a prospéré au Nigéria et sa réputation, en tant qu’alliée de Daech en Afrique de l’Ouest a grandi, au milieu de disparités sociales et économiques entre le nord sous-développé habitée par une majorité de musulmans, et entre le sud plus aisé où réside une majorité chrétienne. Les programmes de l’USAID mis en œuvre dans ce pays ont permis la diminution du soutien aux groupes extrémistes et l’émergence d’une belle mosaïque de points de vue positifs envers les États-Unis, d’un optimisme nigérian pour davantage d’opportunités et une plus grande confiance dans leur gouvernement.

Interventions militaires et conséquences à contrario

L’histoire de Boko Haram au Nigéria présente une histoire pleine d’avertissements et de mises en garde. Après la réussite de la campagne militaire qui a miné le groupe rebelle et affaibli ses capacités et sa mobilité, ses militants se sont dispersés et se sont partagés entre ses différentes branches et affiliations dans les pays voisins tels que le Niger, le Cameroun et le Tchad, ce qui a augmenté de 157% le nombre de décès liés au terrorisme dans ces trois pays! Si nous tournons les pages de l’histoire, nous nous rendons compte que les interventions militaires n’ont éradiqué que 7% des organisations terroristes depuis 1968. Malgré l’afflux de fonds dépensés dans la lutte contre le terrorisme de l’ordre de 6 trillions de dollars, le nombre d’attaques terroristes dans le monde a augmenté cinq fois depuis 2001. Dans le même temps, les organisations œuvrant pour la relance et la propagation de la paix souffrent toujours de graves pénuries de financement, bien que les programmes de développement social et économique soient à la base de la prévention et de la volonté de construire des sociétés capables de résister à l’extrémisme violent.

La puissance militaire dirigée par l’Occident peut renforcer le discours «Nous sommes contre eux», alimentant la polarisation entre musulmans et non musulmans. Selon les recherches, des groupes tels que Daech et Al-Qaïda sont conscients que la discrimination envers les personnes ayant des difficultés d’intégration culturelle peut les rendre plus vulnérables à l’extrémisme. Cette polarisation n’a été jamais plus prononcée nulle part que dans les pays occidentaux où vivent les communautés immigrées musulmanes. Ce qui les pousse à l’extrémisme n’est pas la pauvreté, mais la discrimination et les inégalités. En France, par exemple, un citoyen chrétien d’origine africaine a un taux de 2,5% plus élevé qu’un musulman de la même race et avec les mêmes qualifications d’obtenir un entretien d’embauche. Ce n’est donc pas un hasard si 70% des combattants formés en Occident et 41% des djihadistes locaux sont des immigrants issus de sociétés marginalisées de culture secondaire.

L’analyse superficielle peut induire en erreur et mener au labyrinthe poussant à conclure qu’il s’agit d’un problème spécifique aux milieux d’immigrants, ce qui n’est pas le cas. La vérité est qu’il s’agit de poches de diaspora marginalisées depuis des générations, qui a explosé dans les confins du monde à la recherche d’environnements où il sera possible de vivre dignement dans des sociétés où règnent l’égalité, la justice sociale et les opportunités prometteuses. Mais, dans de nombreux cas, et en raison de leurs relations restreintes et limitées dans la société dominante, la crise d’identité ne cesse d’harceler ces immigrés infortunés.

Les jeunes de la deuxième génération qui souffrent de l’exclusion vivent dans un isolement complet, bloqués dans un no-man’s land, investi avec une identité occidentale qui se refuse à les accepter complètement, alors que leur mère-patrie les a abandonnés et a refusé de les accueillir dans ses bras douillets. Aussi, poursuivent-ils leur voyage ardu à la recherche d’une identité et d’une appartenance ailleurs. Après un examen approfondi des interviews et des antécédents personnels de plus de 2.000 combattants étrangers dans une étude faite sur l’ère d’Al-Qaïda, le Colonel de l’Armée Américaine et le Psychiatre John M. Winhouse a conclu que la motivation principale de la majorité des recrues est la recherche d’identité et une raison d’existence. Apprécier les immigrés et éviter tout sentiment d’exclusion et de discrimination raciale à leur égard requiert une importance extrême pour neutraliser à leurs yeux l’attractivité des groupes terroristes.

Succès de l’intégration 

Conscientes que les gouvernements sont soumis à de très fortes pressions, certaines localités ont réussi à obtenir des résultats positifs qui n’ont pas été atteints par les politiques inclusives visant à décourager les jeunes à se tourner vers l’extrémisme violent, et ce en appliquant la politique d’intégration. Ainsi, la ville de Machelen en Belgique, qui est une ville située entre les précédents points chauds de Daech à Antwerpen et Bruxelles, et qui compte environ vingt mille musulmans, l’organisation de Daesh n’a réussi à y recruter aucun musulman La raison en est que les politiques d’intégration ont frappé aux portes des migrants qui auraient pu être confrontés au fléau de marginalisation. Des projets d’aménagement et de renouveau ont eu lieu dans les zones comptant un grand nombre de migrants. Les vieux quartiers délabrés qui abritaient les différentes classes sociales et économiques ont été modernisés, pour favoriser l’intégration des différentes couches sociales parmi les citoyens immigrés pauvres et les citoyens autochtones riches.

Les jeunes se considèrent désormais comme des citoyens de plein droit, et non comme des citoyens de seconde classe, et devant eux se profilent des opportunités prometteuses, les rendant moins vulnérables aux offres frauduleuses des réseaux terroristes intérieurs et extérieurs. Il convient de noter aussi que la police fait partie intégrante de la gestion communautaire, contrairement aux habitudes des agences de l’application de la loi. La ville de Machelen est peut-être hors de propos, mais son modèle mérite réflexion et méditation sur les secrets de son succès. 

Quant à la ville de Vilvoord, elle a fourni jadis à Daech 28 recrues. Puis, en 2014, la ville belge a eu tendance à adopter le modèle de Machelen. Deux ans plus tard, il n’y eut plus de recrues rejoignant les rangs de Daech. Le maire de Machelen, Bart Sommers a bien compris que le secret derrière l’expansion des mouvements extrémistes violents est l’exploitation des griefs. Alors que les cris d’injustice et de persécution s’intensifient, les défaillances de l’appareil sécuritaire se multiplient. En fin de compte, et bien que les mesures coercitives demeurent un élément important pour assurer la sécurité humaine, comme l’a indiqué l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, Ban Ki-moon, «les missiles peuvent tuer les terroristes, mais la bonne gouvernance tue le terrorisme».