La désintégration de la structure solide de Daech et sa fragmentation en groupes restreints ou confinés dans l’espace envoient un puissant message sur la capacité de vaincre le terrorisme et d’éliminer ses groupes. En dépit de ces messages positifs au niveau mondial, certaines régions voient dans la dispersion et la fragmentation de ces organisations une menace à leur sécurité nationale et régionale; le cours des événements ayant conduit à l’arrivée d’éléments de l’organisation dans cette zone peu structurée, notamment en matière de contrôle des frontières. 
Outre le risque de fuite d’éléments de l’organisation, la menace la plus importante pour les pays de la région est l’existence d’organisations multiples qui se chevauchent; et dont la fusion entre elles a accru la gravité. 
Si certaines organisations terroristes ont réussi à s’infiltrer dans des pays et des sociétés, à en compromettre la sécurité et la stabilité et à y recruter des adeptes, la réalité est que nous devons rechercher de nouvelles approches pour les affronter et les éradiquer.
Ces lignes reflètent la réalité du terrorisme dans la région du Sahel et l’expérience du G5 dans sa lutte contre le terrorisme par des politiques communes et des efforts concrets visant à réduire ses risques et à en atténuer les effets dévastateurs à tous les niveaux.
Organisations terroristes au Sahel
La région du Sahel est l’un des secteurs les plus importants où la menace du terrorisme et du crime organisé a augmenté au cours de la première décennie de ce siècle. Le niveau de paix dans les pays de la région a évolué vers davantage de conflits, avec la participation de multiples groupes extrémistes. Le nombre d’organisations terroristes a augmenté pour atteindre plus de 64, actives en Afrique. Il convient de noter le grand nombre d’organisations et leur volonté de préserver leur identité et de ne pas être impliquées dans le creuset de grandes organisations transnationales telles que l’EI et Al-Qaïda.
1. Daech Afrique
L’état de l’Afrique de l’Ouest est né après l’allégeance en mars 2015, du dirigeant de Boko Haram Abu Bakr Shikaw à Abu Bakr al-Baghdadi. Ceci n’a cependant pas duré plus d’un an car, l’EIIL n’a pas tardé à isoler Abu Bakr Shikaw en août 2016, et le remplacer par Abou Moussab al-Barnawi, porte-parole officiel du mouvement et fils de son fondateur, Muhammad Yusuf. 
À la suite du rejet de cette décision par Shikaw et de son adhésion au mouvement Boko Haram, la branche fut divisée en deux parties: l’une dirigée par Barnawi avec environ 3 500 combattants et l’autre par Shikao avec près d’un millier de combattants.
Le mouvement s’est davantage divisé au cours des trois dernières années et Shikaw s’est installé dans l’État de Borno (à l’est du Nigéria,) où se trouve la forêt Sampia, cœur historique du mouvement. Les partisans de Barnawi ont étendu leurs activités au nord de Borno dans le bassin du lac Tchad.
En mars 2019, les conflits se sont aggravés après l’éviction d’Abou Moussab al-Barnawi et la désignation d’Abou Abdullah Omar al-Barnawi à sa place. Les partisans ont attribué cette mesure à l’accusation d’Al- Barnawi d’être trop (modéré), du fait qu’il ait concentré ses attaques sur des sites militaires, contrairement à Boko Haram, dont les attaques ne font pas la différence entre cibles civiles et militaires. 
La branche du Sahara (ÉI du Sahara) a émergé suite à l’allégeance du porte-parole du Mouvement Tawhid et Jihad en Afrique de l’Ouest et membre de l’organisation Al-Murabiten d’Al-Qaïda, Abou Walid al-Sahrawi, au chef de Daech Abu Bakr al-Baghdadi. Laquelle allégeance a conduit à l’isolement de Sahraoui et de ses partisans de l’organisation (Almorabitin). L’activité de cette branche se limite au triangle frontalier Mali-Burkina Faso-Niger. La plupart de ses opérations ciblaient des postes frontières, mais la plus importante était la tentative infructueuse d’assaut d’une prison dans la capitale nigériane, Niamey, à la mi-octobre 2016.
2. Al-Qaïda au Maghreb islamique
La branche de l’organisation remonte au Groupe salafiste algérien pour la prédication et le combat (GSPC), qui a officiellement déclaré en 2006, son affiliation à al-Qaïda et s’est par la suite appelé Organisation Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI). Il était dirigé par Abdelmalek Droudkal, surnommé Abu Musab Abdelwadoud. Le chef Mokhtar Belmokhtar a repris le groupe dans la région du Sahara, frontalière avec le Mali et le Niger, avant de s’en retirer. Cette branche est la principale source d’appui logistique pour les groupes terroristes opérant en Afrique de l’Ouest.
3. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans
Quatre groupes extrémistes opérant dans la région du Sahel ont annoncé en mars 2017, leur fusion en une seule entité organisationnelle, la « Nusrat al-Islam wal Muslimeen » (groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans) dirigé par Iyad Ghali. Le groupe veut se positionner comme un acteur dominant face à l’influence croissante de l’EI et renforcer sa capacité à contrer les efforts du gouvernement dans les pays du Sahel.

Nusrat al-Islam wal Muslimeen a annoncé son allégeance au dirigeant d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, à Abou Moussab al-Wadud, Émir d’Al-Qaïda au Maghreb islamique, et à Hibatullah Akhundzadeh, Émir des Taliban.


Groupe des cinq pays du Sahel


Face à la recrudescence des activités terroristes et à la menace croissante qui se concrétise d’un jour à l’autre, cinq pays du Sahel (Mali, Niger, Burkina Faso, Mauritanie et Tchad) ont manifesté leur volonté de constituer en 2014 le Groupe de cinq pays du Sahel, pour établir l’année suivante une force commune de 5000 soldats et les déployer dans trois zones frontalières situées à l’ouest entre la Mauritanie et le Mali, dans les zones frontalières communes entre le Niger et le Tchad à l’est et entre le Niger, le Mali et le Burkina Faso dans la région centrale. Le but de ces forces est de combattre les attaques de militants extrémistes contre le Mali et les États voisins et d’en poursuivre les auteurs de l’autre côté de la frontière.


Chacun du G5 du Sahel s’est engagé à 10 millions d’euros. Malgré ces efforts, leur succès nécessite toujours un soutien international considérable, ce qu’a confirmé le Secrétaire général des Nations Unies, Antonio Guterres, avertissant que la force combinée du G5 ne suffisait pas pour arrêter la propagation du terrorisme en Afrique de l’Ouest, qu’il était indispensable de mettre en place une réponse collective plus résolue et que la communauté internationale trouve les moyens de le soutenir pleinement. Il a regretté de ne pas avoir été en mesure de répondre à la demande des États du Groupe d’inclure leurs forces conjointes au titre du Chapitre VII de la Charte des Nations Unies.


Lors du récent sommet africain au Niger, le pays hôte a appelé les pays participants à adopter l’idée de former une coalition internationale pour lutter contre Boko Haram en Afrique, à l’instar de la coalition internationale contre ISIS. Les conclusions et recommandations formulées à la fin du sommet ont néanmoins été en deçà des attentes.


Soutien international au G5 du Sahel


La communauté internationale a apporté son soutien au G5, l’UE apportant une contribution de 100 millions d’euros à la force militaire et 8 milliards d’euros pour soutenir le développement du Sahel entre 2014 et 2020. Un sommet s’est tenu à Bruxelles en 2018 avec 60 délégations internationales, dont 25 chefs d’État et de gouvernement, pour faire pression afin d’obtenir un soutien politique et militaire à la force du G5 et de fournir les fonds nécessaires à son lancement, estimés à 250 millions d’euros, puis au moins 60. Millions d’euros par an.


Le soutien saoudien pour financer la guerre contre le terrorisme dans la région du Sahel, est le plus généreux, le Royaume a fait un don de 200 millions d’euros en deux versements. L’appui des États-Unis est évident dans les domaines du renseignement et de l’appui logistique, ainsi que dans la coordination de la sécurité de la Force opérationnelle multinationale conjointe dirigée par l’Afrique, composée du Niger, Nigéria, Tchad, Bénin et Cameroun, qui se bat contre Boko Haram dans le bassin du lac Tchad. La France a mené le rôle le plus important sur le champ de bataille et est intervenue militairement au Mali en 2012, puis a entamé dans la région une opération militaire sous le nom de (Barkhan), mais n’a pas été en mesure de lutter seule contre le terrorisme. Elle a rapidement lancé une initiative visant à former une force militaire conjointe des armées du G5 Sahel et a organisé à cette fin en décembre 2017, le Sommet de Paris.


Obstacles aux forces du Sahel


Parmi les obstacles les plus importants à la lutte contre la menace terroriste dans la région, deux principaux: le financement et les préoccupations relatives aux troupes, à côté d’autres obstacles de moindre influence:


1. Financement

 Les cinq pays participant à la force ne disposent pas des moyens financiers pour compléter le financement nécessaire, ce qui les place face à un défi de taille qui affecte leur avenir. De nombreux pays ont fourni un financement généreux, l’Arabie saoudite (200 millions d’euros), suivie de l’UE (100 millions), des États-Unis (60 millions), de la France (58 millions), Émirats arabes unis (30 millions), en plus d’autres pays.


2. Préoccupations

Des réserves régionales et internationales vis-à-vis de cette force militaire ont émergé, notamment:

A- Le veto des États-Unis au niveau du Conseil de sécurité des Nations Unies ayant empêché les Nations Unies de couvrir la force. Washington a formulé une forte réserve à son sujet et a rejeté la demande du Secrétaire général du G-5 de donner à la force les moyens logistiques nécessaires.

B- L’Algérie considère cette force avec prudence: la sécurité et les activités militaires françaises et américaines dans la région constituent une menace pour ses intérêts et son influence.


3- La réticence des pays de la région à prendre des initiatives. Certains d’entre eux ont déclaré ne pas être intéressés par la formation de forces, en raison de la réticence de l’Occident à fournir un soutien financier pour lutter contre le terrorisme.


4. Incapacité à mener à bien des expériences de lutte contre le terrorisme dans la région, telles que les combats de l’armée mauritanienne contre les terroristes par le biais des “forces d’intervention spéciales comprenant 200 à 300 soldats déployés en petites unités pour effectuer des missions à long terme dans le vaste désert mauritanien à la frontière avec le Mali.


Issues de la confrontation


L’échec de la sécurité régionale face au terrorisme grandissant est devenu évident, comme en témoigne l’appel du président du Niger, Mohamed Youssef, à créer une coalition internationale pour éliminer les groupes terroristes. En plus de l’impasse ou du laxisme dans la confrontation, les organisations terroristes sont devenues le mouvement le plus rapide pour réaliser des fusions ou des fédérations étendues (fédération du terrorisme) visant à unifier leurs efforts et à coordonner leurs opérations dans les pays de la région. Il est à noter que des signes de coordination entre l’Etat islamique et Al-Qaïda sont apparus dans la section africaine, par opposition à l’hostilité entre eux en Irak, en Syrie et en Afghanistan. Le fait que l’Etat islamique se soit infiltré et ait migré dans la région a suscité un intérêt accru pour la région et une augmentation des activités terroristes.


L’état de la force sahélienne G5 est un modèle pour un système régional qui tente de relever un défi majeur, confronté aux intersections régionales, aux rivalités internationales et aux difficultés logistiques et financières. Pour que cette force puisse entamer ses tâches et atteindre ses objectifs, il est nécessaire de créer un climat international et de parvenir à un consensus sur ses travaux selon des données acceptables, dont:

- Inclure le soutien régional aux opérations des forces du Sahel en coordination avec les voisins de la région.

- comprendre leurs préoccupations et intérêts en matière de sécurité.

- Coopérer et un convenir avec les principaux pays concernés de la région pour éviter tout conflit d’intérêts et toute perturbation des activités.

- Assurer le parapluie international et juridique de la Force et ses actions aux niveaux local et mondial. 

- Obtenir les ressources et les fonds nécessaires grâce à la coordination internationale. 

- Respecter la souveraineté des États et veiller à ce qu’ils soient des partenaires dans la planification et la mise en œuvre, et pas seulement un organe subsidiaire ou exécutif. 

- Nécessité pour les États de la région de lancer des opérations, l’affirmation de sa souveraineté et de son rôle important dans la lutte contre le terrorisme, ainsi que la provocation de sentiments hostiles en cas d’intervention directe et brutale d’un pays étranger. 


Il est important de noter qu’une solution militaire n’est pas le seul recours efficace pour éliminer les organisations terroristes et mettre fin au problème du terrorisme, mais devrait s’accompagner de réformes politiques et d’un développement économique, ou d’une réconciliation nationale dans les zones où elle existe, afin d’éliminer les raisons de son émergence ou de sa croissance dans la communauté. En règle générale, les IDE exacerbent le problème, aggravent le conflit et accroissent la sensibilité nationale vis-à-vis des anciens gisements coloniaux. Les forces locales ou régionales des pays du Sahel doivent donc être placées au premier plan des opérations, après un soutien logistique et en formation. l est très important que toute opération militaire soit conduite à court terme, la durée de ces opérations et la faiblesse de l’efficacité des méthodes de lutte contre le terrorisme ne se reflètent pas dans le soutien populaire susceptible de transformer ces organisations. Il est également important d’exploiter l’infiltration de l’Etat islamique dans la région en créant des divisions au sein d’organisations terroristes, en accroissant leur fragmentation et en créant un état de conflit interne dans le but de contrôler et d’exercer un pouvoir exclusif. Le conflit au sein de Boko Haram est un exemple important de cette situation.