En géologie, comme dans la vie et dans les sciences humaines, les séismes, les cyclones ainsi que les volcans peuvent provoquer des secousses ou des répliques encore plus dévastatrices que l'événement lui-même. Ainsi, il arrive parfois que la réaction surpasse l’action elle-même et qu’elle survienne de manière inopinée, trahissant la vigilance des plus avertis des observateurs. Étant donné que les organisations terroristes, qui brandissent le slogan du jihad, ont subi, et continuent de subir, de sérieux revers et de graves défaites, cela pourrait inciter un certain nombre de sympathisants ou d’adeptes non déclarés à réagir. La réponse pourrait ne pas toujours être violente ou sanglante, mais prendrait plutôt l’apparence du prosélytisme (al da’wa), de la prédication, ou de la « bonne » exhortation, d’autant plus que ce groupe bénéficie d’une certaine liberté et facilité de circulation au sein de la société. Ceux-là forment ce qui est communément appelé les «cellules dormantes», bien que le terme «cellules», implique l’idée d’une organisation préalable. Cela constitue en effet une évolution dans l’organisation des terroristes, qui ne répond plus au schéma hiérarchique pyramidal habituel, mais repose plutôt sur une acclimatation psychologique des membres, basée sur le partage des mêmes idées ainsi que sur la diffusion des conceptions au service de la propagande de l’idéologie terroriste. Étant donné que les «cellules dormantes» ont été associées dans l’imaginaire politique à celles-là même qui commettent des actes terroristes, tels que les assassinats et les explosions, nous avons choisi de les distinguer des cellules «douces» qui minent l’espace virtuel et torpillent la vérité.

Ces "cellules douces" ont pour mission de diffuser les discours basés sur les idées de haine, de remettre en cause les régimes politiques, en contestant leur légitimité et en suscitant des remous autour d’eux, à travers la fabrication d’informations par le recours parfois à des techniques sophistiquées, susceptibles de tromper même les experts les plus avisés. Beaucoup de gens ont probablement pu noter, à cet égard, comment une chaîne de renommée mondiale telle que la CNN a été induite en erreur quand elle a diffusé une vidéo détournée, qui montre le Président américain Donald Trump en train de toucher la main du Pape François du Vatican, en juin dernier, qualifiant l’attitude de Trump de « tentative de harcèlement scandaleuse ». Les « cellules douces » puisent dans ce bourbier de mensonges et de tromperies. Elles arborent divers masques et les plus dangereuses d’entre elles sont celles qui investissent les plateformes des médias sociaux et forment des « milices électroniques » qui fabriquent des mensonges, prétendent détenir toute la vérité de la religion et s’autoproclament porte-parole de Dieu. Ces cellules gagnent du terrain et deviennent de plus en plus influentes grâce au soutien de certaines parties possédant l’argent et le pouvoir, qui les prennent sous leur aile et les financent même, si nécessaire, car le conflit oppose désormais des alliances et des camps régionaux, et celui qui ne gagne pas sur le terrain peut s’inventer des victoires imaginaires dans les médias et l’espace virtuel où sévit le mensonge. Les technologies modernes et les systèmes de confidentialité ont atteint un degré de performance tel qu’ils ont fourni à ces terroristes un environnement protecteur, un refuge sûr et une tranchée fortifiée, mettant ainsi à rude épreuve leurs traqueurs. Quels sont alors les recours possibles pour faire face à ces terroristes et prévenir leurs actes maléfiques ? Il existe plusieurs approches dans ce domaine. La plus intéressante est celle qui consiste à créer un discours parallèle alternatif, qui met à nu leurs mensonges et rétablit la vérité par le recours à des arguments et preuves, et qui tire, lui aussi, profit de toutes les possibilités qu’offrent ces technologies, car le récepteur confus ne demande qu’à être éclairé et convaincu avant de choisir son camp. Dans un deuxième temps, il est nécessaire de ne pas se contenter de se tenir à la défensive et de mettre plutôt en place une stratégie d’attaque à moyen et à court termes, qui concilie le volet médiatique et l’approche politique et qui coopère en matière de démarches sécuritaires. L’État doit s’atteler à cette tâche en recourant à de nouvelles méthodes qui rompent avec le discours de mobilisation, la rhétorique, les chants tout prêts et les slogans usés. Le monde des médias est en plein boom en matière de nouvelles « connaissances », et ceux qui n’en suivent pas le rythme sont condamnés à perdre la bataille médiatique. A cet égard, les informations qui font état des milliards de dollars alloués à des sites d’information arabes et internationaux dans le but d’« embellir » l’image de l’État, de le blanchir des accusations dont il fait l’objet et de lui permettre de faire bonne figure lors des rencontres internationales ne sont point surprenantes. D’ailleurs, cela peut même s’avérer efficace et rentable, car la plupart des gens sont peu attentifs et prudents, et ne soumettent pas ce qu’ils perçoivent à l’analyse, la révision et au doute méthodique. Certes, les organisations terroristes créent une sorte de bras électroniques qui font des ravages dans le monde virtuel, intoxiquent les esprits des hommes, adoptent un système de pensée rétrograde et font la promotion de l’obscurantisme et de la brutalité ; cependant les pratiques des « cellules douces » ne sont pas pour autant moins hideuses, car elles sèment la discorde dans la société, diffusent la haine, alimentent les divisions et sont à l’affut de toute omission et de tout incident anodin pour ériger des montagnes de mensonges et mettre, ainsi, le feu aux poudres.

L’attention et l’intérêt que suscitent ces « cellules douces » sont dus au fait qu’elles évoluent dans un espace où la vérité et le mensonge sont enchevêtrés et que la fabrication de fausses informations est devenue un métier et un art dans lesquels les pirates informatiques, les blogueurs à travers leurs blogs instrumentalisés ainsi que les plateformes mises au service d’une idéologie donnée rivalisent d’ingéniosité, laissant ainsi le récepteur confus et ne sachant qui croire. Cela constitue, d’ailleurs, la brèche par laquelle se faufilent les « cellules douces » pour se faire une place. Et puisqu’il faut combattre le feu par le feu, ou comme le dit l’adage arabe, « seul l’acier coupe l’acier », la seule issue possible est celle de la confrontation et la mise à nu de la faiblesse des discours fallacieux et de leurs innombrables mensonges. Pour ce faire, il est nécessaire de mettre en place une stratégie à la fois médiatique et politique bien développée qui tienne compte des causes, des limites et des résultats escomptés de cette « bataille ». En effet, rester passif et se taire, en arguant que « les chiens aboient et la caravane passe », ne sont plus désormais suffisants, car, quand la vérité fait défaut, ce sont les mensonges et les rumeurs qui viennent combler le vide qu’elle occasionne dans le monde des réseaux sociaux. Cet état de fait nous conduit à reconnaître, non sans regret, que le combat est immoral et contraire à l’éthique, car l’adversaire qui déforme la réalité, prêche la haine, s’ingénie à créer des sujets qui font polémique, sèment la discorde et dressent les communautés religieuses, ethniques et confessionnelles les unes contre les autres est un adversaire malhonnête qu’il faut impérativement mettre hors d’état de nuire et dont les illusions doivent être dissipées. Mais si cet adversaire est pétri de ses peurs, ses angoisses et ses dénégations et qu’il est intimement et faussement convaincu de détenir la vérité sur les principes fondamentaux de la religion et de la charia, la bataille livrée contre lui devient d’autant plus violente et plus tenace, car les conseils, si bons soient-ils, ne peuvent rien contre un tel adversaire. Il faudrait, plutôt, démasquer ses mensonges et ses ruses et démanteler l’arsenal derrière lequel il se réfugie. Or, cela nécessite un discours bien développé, capable de mettre en place des stratégies de lutte contre le terrorisme, et basé sur un langage rationnel, flexible et en harmonie avec l’époque actuelle et avec l’évolution des civilisations. Et étant donné que l’extrémisme se nourrit des religions et vise tous les croyants, il devient nécessaire de mettre en exergue les bonnes valeurs religieuses qui prônent le juste-milieu et qui se recoupent avec les valeurs humaines universellement partagées. Vivre ensemble implique, en effet, le partage de l’espace, l’air et la lumière et nécessite d’instaurer des rapports basés sur la fraternité et la tolérance et de répandre les principes de la religion qui reposent sur les valeurs universelles de justice et de Bien, et non de transformer la religion en un brasier qui s’alimente des malheurs et des souffrances des gens. En outre, la confrontation devient plus intense lorsque l’adversaire, aveuglé par l’idéologie à laquelle il s’est rallié, voit dans la propagation de la terreur et la peur une forme de jihad au nom de Dieu. Il crée, alors, des cyber-armées, manipule les gens et les monte contre leur propre pays, étant donné que, pour lui, la seule forme de loyauté possible n’est pas celle envers la patrie, aux frontières géographiques aléatoires, mais c’est plutôt cette forme de loyauté vouée pour les idées sacrées proférées par leur leader. Ce dernier, en réalité, ne préconise que ce qui est susceptible de servir ses propres intérêts politiques, au mépris total des conséquences désastreuses de la désintégration des États, des conflits meurtriers entre les frères et membres d’une même communauté et de la mise à mal des règles du bien vivre ensemble.

Les « cellules douces » qui se nourrissent de mensonges et qui sapent les fondements du bien dans l’espace virtuel imposent des règles de guerre rugueuses. Il est, en effet, plus facile de vaincre des armées que de vaincre les idées dont les défenseurs s’attachent à des évidences absolues, sous prétexte qu’elles tiennent du sacré, prétendent détenir la vérité absolue, exploitent le besoin qu’éprouvent les humains de trouver un refuge religieux susceptible de leur donner satisfaction et patience et de les inciter au don de soi et au renforcement de leur endurance. Toutefois, ces refuges se révèlent rapidement être des embuches qui excèdent les limites bienfaisantes des religions en tant que source d’apaisement et de consolation. Ils se transforment en une plateforme à partir de laquelle on souffle le feu de la haine contre la société et l’État, ils portent un regard désapprobateur sur les progrès réalisés et ils n’y décèlent aucun apport positif. Ce sont les cellules de destruction, animées par un besoin irrépressible de s’en prendre à toute lueur d’espoir. Ces cellules sont actives sur les réseaux sociaux et un seul coup d’œil averti porté sur Twitter suffit pour constater l’ampleur de ces cellules qui lancent à chaque instant des hashtags pleins de haine et de hargne. On a ainsi pu suivre, il y a quelque temps, le hashtag diffamatoire contre une tribu saoudienne qui a suscité plus de 64 000 réactions en 24 heures sur le réseau social. Aussi, non seulement ce hashtag trahit le plan de ces « cellules douces » qui consiste à semer la division entre les membres d’une même société, mais empeste aussi le racisme, comme en témoignent les réactions des twitteurs, qui, pour la plupart, comportent des données erronées. Ceux qui ont lancé le hashtag se sont, quant à eux, acharnés à le répandre et à le défendre bec et ongles comme s’ils étaient investis d’une mission sacrée. Mais, on se demande bien si le fait de diffuser la haine et l’hypocrisie et de tarir les sources du bien et de la compassion chez les gens tiennent vraiment du sacré.​