De nombreux chercheurs affirment que le Mouvement somalien des moudjahidin Shebab a été fondé en 2002 et a pris ses quartiers généraux à Mogadiscio, dans le camp de Salahuddin. Il a entamé son activité terroriste l’année d’après en participant au ciblage de personnalités non somaliennes dans le nord de la Somalie (Somaliland). Cependant, la fondation officielle du mouvement remonte au premier semestre de 2006, alors que l’Union des tribunaux islamiques resserrait son contrôle sur le sud de la Somalie, devenant la principale force du pays et parvenant à assurer la stabilité dans les zones qu’elle contrôlait.

L’invasion éthiopienne de la Somalie en Décembre 2006 a été un tournant majeur pour le mouvement des Shebab, qui semble avoir opté pour la guérilla pour résister à l’intervention éthiopienne, ce qui a contraint les forces éthiopiennes à appeler les Nations Unies à l’aide pour les faire sortir du bourbier somalien. Quant au mouvement des Shebab, il a acquis une bonne réputation suite à sa la confrontation avec les forces éthiopiennes. Il a accru sa popularité et réussi à attirer de nombreux sympathisants et volontaires qui ont rejoint ses rangs. Et dans le sillage de son refus de rejoindre l’Alliance pour la ré-libération de la Somalie, affirmant qu’il refusait de négocier avec les forces d’occupation (Éthiopie), son impact sur la scène somalienne se renforça et il eut un poids important dans les équations du conflit régional. Il tenta de former un front contre le gouvernement de transition dirigé par Cheikh Sharif Ahmed après avoir refusé d’y participer. La fuite de Somalie des dirigeants de l’Union des tribunaux islamiques - qui avaient une influence modérée sur le mouvement des Shebab -, et l’invasion éthiopienne du pays, ont rendu le mouvement plus extrémiste et violent, ce qui l’a conduit à rompre ses liens avec les autres organisations somaliennes.

Depuis 2008, les opérations terroristes menées par le mouvement des Shebab en Somalie n’ont cessé de s’intensifier, dont notamment le ciblage des responsables du gouvernement intérimaire somalien, et après l’assassinat par les forces américaines de Saleh Nabhan, l’un des éléments et dirigeants les plus éminents du mouvement, en Septembre 2009, le mouvement a promis la loyauté totale à Al-Qaïda. Ses dirigeants ont envoyé des lettres à Oussama ben Laden lui demandant de rejoindre Al-Qaïda, mais il a refusé leur demande en ce temps-là. Après l’assassinat de Ben Laden en Mai 2011, le mouvement a renouvelé sa demande d’adhésion à Al-Qaïda. Ayman Al-Zawahiri a approuvé la requête et le mouvement des Shebab a annoncé son adhésion officielle à l’organisation en Février 2012.

Certaines études occidentales confirment que les dirigeants des Shebab étaient en contact constant avec Al-Qaïda pendant la période précédant le déménagement de l’organisation en Afghanistan en 1996, alors qu’Oussama ben Laden et certains dirigeants de l’organisation résidaient alors dans l’État du Soudan depuis quelques années. C’est alors qu’Al-Qaïda avait formé les combattants des Shebab, et que le premier chef du mouvement, Aden Hashi Ayro, se soit rendu en Afghanistan pour recevoir de la formation, du soutien et des expertises.

L’application des principes de la loi islamique, selon les interprétations strictes du mouvement, est l’un des plus importants objectifs des Shebab, et c’est pour cela que le mouvement a cherché à renverser le gouvernement somalien qualifié, à son avis, de laïc, et à établir un gouvernement qui applique la loi islamique. Le mouvement cherche aussi à éliminer toutes sortes d’ingérences extérieures en Somalie. Il combat dans ce cadre les forces africaines présentes dans le pays, et lance des attaques terroristes contre les pays participant à ces forces pour les forcer à se retirer de la Somalie, en plus du ciblage des intérêts occidentaux, en particulier Américains en Somalie et dans la région de l’Afrique de l’Est.

Ressources financières du mouvement

Il n’y a pas d’informations confirmées et fiables sur les sources externes de financement du mouvement Shebab, mais selon plusieurs rapports et déclarations de Somaliens qui appartenaient au mouvement et de responsables dans certains pays, le mouvement dépend de son financement sur nombre de sources différentes, dont les plus importantes seraient:

Transferts à l’étranger: Les États-Unis ont eu tendance à fermer nombre d’institutions de transfert de fonds en Somalie, notamment la Fondation Al Barakat, et arrêté nombre de Somaliens ces dernières années pour le transfert d’argent aux Shebab depuis les États-Unis.
Commerce: En particulier le commerce du charbon, le mouvement contrôlait effectivement le port somalien de Kismayo, qu’il utilisait pour la contrebande de charbon brut. Le groupe terroriste a également obtenu des sommes importantes grâce au trafic d’armes, de sucre et de tabac.
Fonds des Zakat et taxes: Jusqu’en 2011, le mouvement contrôlait de grandes zones du centre et du sud de la Somalie, ce qui lui a permis d’imposer des lois sur ces zones, et de collecter le Zakat auprès des citoyens sur les ventes de produits agricoles et de bétail, et la production illicite de sucre. Des taxes à l’importation ont été imposées au port de Mogadiscio, selon les Nations Unies. L’une des principales sources du mouvement proviennent des taxes que les citoyens paient sur les barrages routiers contrôlés par le mouvement. Certains rapports ont confirmé que les personnes déplacées affectées par la sécheresse paient une partie de l’aide internationale qui leur parvenait sur les barrages routiers, ce qui signifie qu’une grande partie de l’aide internationale au peuple somalien tombait entre les mains des Shebab.

Evolution des opérations du mouvement 

On a noté au début que l’émergence du mouvement somalien des Shebab était liée à la résistance contre les forces éthiopiennes qui sont intervenues en Somalie au second semestre de 2006, pour soutenir le gouvernement de transition somalien de l’époque et mettre fin à la main mise de l’Union des tribunaux islamiques sur le pays. Les opérations du mouvement se sont intensifiées depuis 2008, ciblant les institutions gouvernementales de transition, ses fonctionnaires et ses employés, ainsi que les personnes liées aux intérêts occidentaux dans le pays. Le mouvement Shebab a prouvé qu’il était capable de lancer des attaques meurtrières contre les zones d’intérêts occidentaux et contre ses ennemis en dehors de la Somalie.

En Octobre 2008, le mouvement a coordonné cinq attentats suicides qui ont ciblé le complexe du PNUD, le Consulat éthiopien et divers bureaux gouvernementaux, faisant des dizaines de morts. En Septembre 2009, le mouvement Shebab a pilonné la mission de maintien de la paix de l’Union africaine à Mogadiscio, tuant plus de 20 personnes et endommageant les bureaux d’une entreprise américaine qui soutenait, selon certains, la paix et la sécurité.

Le mouvement Shebab a profité de la faiblesse du gouvernement central en Somalie pour contrôler de vastes étendues de terres, et a atteint un pic de force en 2011, lorsqu’il a pris le contrôle de plusieurs quartiers de la capitale Mogadiscio et de l’important port de Kismayo.

En Octobre 2011, le Kenya est intervenu militairement en Somalie, ce qui constitue une décision inédite dans la politique étrangère du Kenya, car c’était la première fois que l’armée kenyane quittait ses frontières. Cette opération a été baptisée (Protection de la Nation). Les autorités kenyanes ont indiqué qu'elles cherchaient à endiguer les attaques menées dans le nord du Kenya par les éléments du mouvement Shebab, qui ciblaient en particulier les touristes et les visiteurs sans défense. En 2014, les forces kenyanes ont rejoint la Mission de l’Union africaine en Somalie.

Après 2011, les opérations du mouvement ont ciblé certains entités et individus dans les pays voisins de la Somalie, en particulier les forces participant aux forces de l’Union africaine en Somalie en vue de le contraindre à quitter la Somalie.

Depuis 2011, le mouvement Shebab a mené plus de 150 attaques au Kenya. Le ciblage du Kenya est non seulement lié à la réponse à l’intervention militaire kenyane en Somalie, mais aussi pour ce que le Kenya représente en tant que centre de gravité pour les intérêts occidentaux et israéliens. La plus grave de ces opérations a été l’attaque de Septembre 2013 contre Le Westgate Mall à Nairobi, qui a causé la mort d’au moins 67 personnes. Les attaques terroristes contre les étudiants de l’Université de Garcia, dans le nord du Kenya, ont coûté la vie à 147 étudiants. En outre, l’attaque de Janvier 2016 contre un camp de l’armée kenyane à Uday a tué 200 soldats. De plus, le 15 Janvier 2019, une attaque a été menée contre un complexe hôtelier à Nairobi, au cours de laquelle au moins 21 civils ont été tués et des centaines retenues en otages. Une attaque récente des Shebab menée le 6 Janvier 2020, contre une base militaire kenyane utilisée par les États-Unis, a causé la mort d’un membre du Service américain et de deux sous-traitants du ministère de la Défense, selon le Commandement américain pour l’Afrique.

Une étude du Centre de Lutte Contre le Terrorisme, relevant de l’Académie Militaire Américaine de West Point, indique que les Shebab ont lancé 155 attentats suicides perpétrés par 216 membres du mouvement, soit en moyenne 4 opérations par mois du 18 Septembre 2006 à Octobre 2017.

Moyens d’affronter le mouvement

Les plans antiterroristes dans la région de l’Afrique de l’Est en général, et face au Mouvement des Shebab en particulier, visent à adopter des moyens militaires et sécuritaires plutôt que des moyens modérés. Les forces africaines qui ont remplacé les forces des Nations Unies en Somalie depuis 2007 affrontent les Shebab dans le cadre du mandat qui leur a été confié par le Conseil de paix et de sécurité pour protéger les institutions du gouvernement national. Mais suite au recours par les Shebab aux opérations terroristes, les forces africaines ont opté pour d’autres plans de lutte contre le terrorisme, bien que le mandat de lutte contre le terrorisme n’ait été accordé à ces forces qu’en 2014.

Quant aux États-Unis, ils ont adopté une approche à deux volets en Somalie, en fournissant un soutien financier et sécuritaire à la Mission de l’Union africaine en Somalie, et en mettant en œuvre des opérations de lutte contre le terrorisme à travers le déploiement de quelques éléments des Forces d’opérations spéciales américaines, dans le but de lancer des frappes, par le biais de drones pour cibler les militants du mouvement, fournir des renseignements et renforcer les capacités militaires des partenaires locaux, en vue de leur permettre d’effectuer des opérations au sol. Ce plan reposait sur une présence militaire américaine limitée dans la mesure du possible, afin de réduire le risque de pertes humaines et matérielles parmi les forces américaines. Depuis 2007, les États-Unis ont fourni plus d’un demi-milliard de dollars pour la formation et l’amélioration des compétences de ces forces.

Dans une décision rendue le 29 Février 2008, le département d’État américain a classé le mouvement somalien des Shebab en tant que mouvement terroriste et a annoncé le gel de ses avoirs aux États-Unis. Les forces américaines ont pris pour cible les dirigeants du mouvement, fournissant un soutien aérien au gouvernement et aux forces éthiopiennes pour bombarder le quartier général du mouvement début 2007 par un navire appartenant à l’armée américaine, et ont repris ces bombardements également en Juin 2007 et en Décembre de la même année. Le leader du mouvement a été tué lors d’un bombardement américain en 2008.

En Septembre 2014, les États-Unis ont lancé une frappe aérienne qui a tué au moins six personnes, dont le chef des Shebab Ahmed Abdi Godan. En Mai 2016, une frappe aérienne américaine, utilisant des drones, a tué 150 éléments du mouvement dans un camp d’entraînement au nord de Mogadiscio.

Les États-Unis ont intensifié leur campagne contre les dirigeants des Shebab et les capacités militaires du groupe. Les frappes aériennes des drones et les opérations terrestres ont causé la mort d’au moins cinq dirigeants des Shebab. Les États-Unis ont intensifié la fréquence et la portée de leurs frappes aériennes contre les Shebab depuis 2016, et en 2017, ils ont accru la présence de leurs troupes en Somalie.

L’avenir du mouvement des Shebab

Au cours des dernières années, le mouvement des Shebab a prouvé sa capacité à résister, même s’il a perdu une grande partie des terres qu’il contrôlait, et a souffert de violents conflits internes, de défections parmi ses dirigeants et de frappes aériennes soutenues de la part des États-Unis. En outre, une faction, affiliée au mouvement, a rejoint le soi-disant État Islamique en Irak et au Levant (Daech), depuis 2015.

L’avenir du mouvement des Shebab est lié à de nombreux facteurs, dont le plus important est la capacité du gouvernement somalien, avec l’aide de la communauté internationale et des puissances régionales, à faire face aux crises qui contribuent à renforcer le mouvement. De nombreux facteurs ont permis l’émergence des Shebab et l’escalade de leurs menaces dans la région de l’Afrique de l’Est. L’effondrement et le chaos en Somalie depuis près de trois décennies, la montée du phénomène religieux dans les relations internationales, la croissance des groupes terroristes après la fin de la guerre froide et l’utilisation de ces groupes par les pays d’Afrique de l’Est comme refuges, ainsi que l’importance stratégique de cette région au regard des intérêts occidentaux en général et américains en particulier, ont fait de la région un centre d’opérations terroristes et fourni des alibis pour l’ingérence extérieure dans la zone.

De même, la négligence par les pays voisins et les pays arabes de la crise somalienne depuis de nombreuses années a conduit à la détérioration des conditions économiques et humanitaires dans ce pays, et ouvert la voie au mouvement des Shebab d’imposer ses lois, ses idées et ses visions dans les territoires qu’il contrôlait.

À une époque où les moyens sécuritaires et militaires sur lesquels se fondaient les plans pour affronter le mouvement n’ont pas produit les résultats escomptés, le mouvement a connu un déclin à différentes époques, mais il est resté indéfectible et n’a pas pu uniquement survivre, mais a plutôt obtenu le soutien souhaité et a recruté davantage de combattants à la lumière de la crise persistante de l’intégration nationale en Somalie et dans les pays voisins, ce qui a engendré davantage de menaces posées par les Shebab et les autres groupes armés dans la région.

De nombreux problèmes entre le gouvernement fédéral et les régions somaliennes subsistent et le peuple somalien continue de souffrir en raison du chômage généralisé, de la pauvreté et de l’insécurité alimentaire, autant de facteurs qui poussent les jeunes Somaliens à rejoindre le mouvement des Shebab pour trouver des emplois et gagner leur vie.

Les pays voisins de la Somalie connaissent les mêmes problèmes, en particulier concernant la crise d’intégration nationale, car les groupes ethniques et religieux de la région souffrent de marginalisation et de discrimination, en particulier les groupes musulmans, ce qui les pousse à adopter des idéologies extrémistes pour pouvoir mettre en évidence leurs problèmes avec les gouvernements nationaux de la région. Les campagnes de sécurité lancées par ces pays, dont le Kenya, l’Ouganda et la Tanzanie, dans le cadre des plans antiterroristes qu’ils adoptent, sont principalement dirigées contre les musulmans, ce qui conduit à des positions hostiles envers les autorités au pouvoir dans ces pays et à la propagation d’une opinion publique sympathique pour ceux qui sont ciblés par ces campagnes.

S’ajoutent à tout cela, les interventions étrangères en Somalie, car de nombreux pays ont cherché à exploiter l’état de faiblesse qu’a connu l’État somalien pour atteindre leurs objectifs régionaux et internationaux. En échange de leur assistance au peuple somalien, ces pays avaient un objectif évident qui était d’intensifier les divisions et les sécessions en Somalie, au point que la Somalie est devenue, sans aucun doute, un champ de règlement de comptes entre nombre de pays régionaux et internationaux.

Le manque d’autonomisation du gouvernement fédéral et des forces nationales somaliennes demeure un défi majeur pour les Shebab. Alors que les forces de l’Union africaine se préparent à se retirer de la Somalie après y avoir passé près de 13 ans, la manière dont les forces nationales feront face aux diverses menaces en Somalie n’est pas encore claire, car ces forces ne sont toujours pas qualifiées pour assumer cette responsabilité.

Les efforts de la communauté internationale pour limiter le financement des Shebab sont également lents, malgré le fait que le Comité d’experts des Nations Unies sur la crise somalienne ait fourni des preuves que le Mouvement des Shebab continue de recevoir des fonds grâce à des dons, de même que de rapports internationaux confirment l’implication de certains pays dans le soutien au mouvement Shebab.