L'ère de la mondialisation a commencé avec l'émergence des technologies de l'information, c'est-à-dire l'automatisation des ordinateurs et des systèmes numériques, la fabrication de microcosmes, les communications par satellite, les fibres optiques et Internet, qui ont créé et instauré une solide interdépendance entre les entreprises et les peuples, et rendu l'intégration économique mondiale plus probable que par le passé.

La mondialisation va au-delà du mercantilisme pour s’affirmer en tant que système international qui affecte la politique, la géographie et l'économie de tous les pays sans exception. La mondialisation a contribué à modifier le niveau de violence à l'échelle mondiale, de sorte que le monde a connu une augmentation du taux du terrorisme de l’ordre de 200% entre 1990 et 1996 en comparaison à la période de 1968 à 1989. Les attentats suicides contre les deux tours de commerce mondial lors des événements du 11 septembre entament cette mondialisation du terrorisme, les deux tours représentant dans ce cadre le symbole mondial de la modernité et des valeurs capitalistes occidentales, ce qui signifie que les attentats ciblaient le symbole même de la civilisation contemporaine avec toutes ses valeurs culturelles, morales et éthiques.

Commentant les événements du 11 Septembre, le philosophe Jacques Derrida dit: "Le plus terrifiant dans ce terrorisme contre l'Occident, c'est qu'il est le fruit même de l'Occident, survenu avec les propres outils de l'Occident, c'est la violence de la modernité contre la modernité, et il ne s’agit pas de violence venant de l'extérieur". Il a estimé que la violence d'Al-Qaïda est une violence antimondialisation, et que cette violence mondialisée ne doit pas être comprise en dehors du contexte de la violence généralisée et ciblée pratiquée par les politiques de l'Occident lui-même, sans pour autant accorder à l’une ou l’autre violence un statut morale.

Le terrorisme des organisations terroristes se caractérise par son caractère transcontinental mondialisé. Il transcende la dimension locale centrale pour accéder à la décentralisation mondiale. Ces organisations disposent de réseaux flexibles et ambulants qui exploitent Internet pour diffuser leur idéologie, et fournir l'expertise technique nécessaire leur permettant de mener des attaques terroristes. Tous ces facteurs créent des défis dans la guerre contre le terrorisme, de sorte que l'élimination des chefs et des éléments de ces organisations ne suffit pas pour éradiquer ces entités. Daech fait presque partie de l'image ultime de la modernité, c'est-à-dire qu'elle reflète la violence de la modernité, mais dans sa manifestation primitive, cette modernité avec ses armes humaines, intelligentes et très neutres, et avec ses médias et son image cinématographique quotidiennement diffusée de manière cumulative. L’écrivaine et critique cinématographique Carole Cadwalader dit: "Les films de Daech sont la prochaine étape logique des films que nous réalisons. Leur culture est en fait la nôtre aussi, et Daech n'a pas inventé ses scènes horribles de rien. Il a plutôt poussé nos idées à l'étape la plus éloignée, la plus franche, la plus authentique, la plus profonde et la plus réaliste".
 

Le monde numérique et les chaines du terrorisme mondialisé

Le nombre d'utilisateurs d'Internet dans le monde est estimé à plus de 4 milliards, dont plus de 164 millions d'internautes au Moyen-Orient, soit 64,5% de la population. Les organisations extrémistes ont compris très tôt l'importance d'Internet et des plateformes de médias sociaux et les ont considérés comme une alternative sûre pour la diffusion et la mise en œuvre de leur projet idéologique, après avoir admis l'échec de l’action clandestine et du recrutement direct. Omar Abdel Hakim, surnommé "Abu Musab Al-Suri" constate dans son livre "L'appel de la résistance islamique internationale", dont la première édition a été publiée en 2004: «L'échec du mode de fonctionnement des organisations hiérarchiques secrètes à la lumière de l'offensive sécuritaire internationale et de la coordination régionale, et l'incapacité des organisations secrètes à absorber tous les jeunes de la nation qui veulent accomplir le devoir du djihad et de la résistance, en y contribuant sans avoir à subir les conséquences de l’affiliation à une organisation centrale». Il constate également: "L’échec de la conception de fronts opposés et d'affrontements face à face avec l'ennemi en raison de la stratégie des raids aériens dévastateurs et des attaques aux missiles téléguidés qui scrutent même ce qui est sous terre grâce à la haute technologie, et c'est ce qu’il faut reconnaitre et affronter".

Internet a servi de refuge et de canal pour diffuser des idées extrémistes à de nombreux théoriciens, comme dans le cas d'Anwar al-Awlaki, le chef d'Al-Qaïda qui est l'une des figures influentes connue pour ses discours adressés aux anglophones. Al-Awlaki a inspiré de nombreux terroristes, dont le plus célèbre est Nidal Hassan Malik, l'officier américain qui a tué 13 de ses collègues à la base de Fort Hood le 11/5/2009, ainsi que Rushonara Chaudhary, qui a été reconnue coupable d'avoir tenté de tuer le député britannique Stephen Tarmez le 14/14/2010. Bien qu'Al-Awlaki ait été assassiné en Septembre 2011 par un drone, son impact demeure intact, ses enregistrements sont toujours en vogue, et ses pensées circulent de nos jours sur Internet, selon le New York Times.

L'esprit de la mondialisation actuelle est l'esprit du réseau. Les principes fondateurs des réseaux sont devenus le moteur de la vie sociale, économique et politique individuelle. Les réseaux apparaissent comme des utérus qui procréent un nouveau type de sociétés humaines, des sociétés dans lesquelles l'identité, la politique et l'économie sont organisées et fonctionnent sous la forme de réseaux, ce qui est un point focal dans le concept de société en réseau. Par conséquent, Internet et le développement de la technologie ont entraîné des changements dans le réseau des relations sociales, les outils et l'intensité de communication, en particulier avec l'émergence de sociétés virtuelles qui représentent un groupe de personnes ayant des intérêts communs, et ne sont pas nécessairement encadrées par des frontières géographiques ou des liens ethniques, tribaux, politiques ou religieux. Ces sociétés virtuelles interagissent via les moyens de communication et les médias sociaux modernes, et développent entre elles les conditions d'affiliation au groupe, les règles d'entrée et de sortie, les moyens de traiter, et les règles éthiques à respecter. Les réseaux sociaux sont définis comme des réseaux interactifs qui permettent à leurs utilisateurs de communiquer à tout moment et n'importe où dans le monde. Il en est ainsi de Facebook, YouTube, Twitter, Instagram, WhatsApp et Snapchat. Ces médias sociaux ont attiré des millions d'utilisateurs dans le monde, au point que le nombre d'utilisateurs de Facebook a atteint 2 milliards dont plus de 116 millions d'utilisateurs au Moyen-Orient.

Les sites des médias sociaux sont devenus une place forte aux opérations de recrutement effectuées par les organisations extrémistes ; on estime que 80% du recrutement accompli par Daech a été effectué via les médias sociaux en 2015, après que le pourcentage n'eut pas dépassé 20% en 2012.
 

Le public extrémiste mondialisé

L’ouvrage «La Gestion du monstre est l'étape la plus dangereuse par laquelle passera la nation» qui explicite la philosophie de la barbarie que Daech a appliquée sur le terrain dans les territoires sous son contrôle. Il décrit les caractéristiques de la stratégie médiatique suivie par l'organisation, et la nature de la catégorie ciblée par cette stratégie. Le livre déclare que: «la stratégie médiatique cible et se concentre sur la catégorie des peuples, en vue de pousser le plus grand nombre de personnes à rejoindre le jihad ou à apporter son soutien positif et une sorte de sympathie négative à ceux qui ne souscrivent pas à ces idéaux. Il est certes plus aisé de recruter des jeunes parmi les peuples que de les engager parmi les jeunes des mouvements islamiques dont la réputation est entachée de soupçons colportés par les mauvais cheikhs, les jeunes de la nation, étant, en dépit des péchés qu’ils commettent, plus proches de la nature, expérience des décennies précédentes à l’appui. Les événements récents ont montré à tout le monde que les simples gens agissant de par leur nature ont été de loin plus positifs que les apathiques parmi les groupes islamiques qui ont placé leur religion entre les mains des Tartuffes».

Ainsi, la stratégie de l'organisation est principalement basée sur la diffusion d'un message marketing émotionnel qui cible le grand public, parmi les jeunes non pratiquants et les non-religieux ou les adeptes de groupes islamiques. Le livre a prôné la nécessité de prêter attention aux idées et aux sentiments des communs des gens lors de la rédaction des contenus médiatiques, mettant en garde contre la tentation de répondre aux suspicions de cheiks de divers groupes islamiques.

Scott Atran, chercheur spécialisé dans les mouvements extrémistes, a noté que la récente vague d'extrémisme comprenait des jeunes plus marginalisés et souffrant plus du chômage. (La nouvelle génération est poussée en grande partie par les médias, engagés dans une sorte de renaissance politique mondiale qui suscite une prise de conscience collective de l'injustice et qui est éprise d’une amitié intime envers les douleurs de l'Irak, de l'Afghanistan, de la Palestine et de la Tchétchénie, etc. Il paraît que la colère morale et le taux élevé de frustration et d’ennui nourrissent la recherche de l’aventure et d’un sens au monde. Les groupes d’amis et de familles venant de la même région dans «la patrie-mère» en Afrique du Nord, au Moyen Orient, en Asie du Centre et du Sud ou relevant des mêmes projets d’habitat européens résidant dans les quartiers marginalisés, sont subjugués par l'action lorsqu'ils naviguent sur des sites de djihad sur Internet où ils trouvent des directives inspirées par Al-Qaida. La plupart de ceux qui appartiennent à cette troisième vague de terrorisme disposent d’une faible éducation religieuse, ou accusent une absence totale de toute éducation religieuse mais finissent toutefois par devenir de «nouveau-nés» à la fin de leur jeunesse ou au début de âge adulte).

Ainsi, la mondialisation a jeté une ombre sur de nombreux phénomènes sociaux, augmentant leur complexité et contribuant à leur expansion, comme ce fut le cas avec le terrorisme, ce qui nécessite redoubler d'efforts pour prévenir le terrorisme au niveau mondial, pour pouvoir ensuite agir sur les environnements locaux à caractère spécifique.