Les défaites subies par Daech en Syrie et en Irak nécessitent que l’on se penche sur l’avenir de cette organisation, sur ses stratégies d’action, ses orientations futures ainsi que sur ses plans d’avenir, notamment au vu de ses manœuvres tactiques actuelles qui visent à développer les mécanismes de son mouvement futur dans plusieurs autres pays, et non seulement dans la région arabe.

Situation actuelle

La guerre menée contre Daech en Irak et en Syrie n’a réussi qu’à faire avorter le projet de la création de l’État (l'État du Califat), sans s'attaquer aux idées, conceptions et dogmes de l’organisation, qu’elle s’est appliquée à mettre en œuvre au cours de la période passée, ce qui lui a permis de se faire une place politique et stratégique, et ce, abstraction faite des grandes pertes qu’elle a subies et de l’affaiblissement de son rôle en Irak et en Syrie.

En outre, la proclamation de la victoire de l'Irak contre Daech à Mossoul n’a pas donné lieu au retrait total des membres de l'organisation de Mossoul, qui sévit encore à travers la présence stratégique de ses membres actifs disséminés dans quelques régions. Cela nécessite, dès à présent, d’apporter des changements et des ajustements aux stratégies actuelles et de ne pas se contenter de la libération d’une ville ou du ratissage d’une zone, étant donné que les membres de l’organisation sont déterminés à adopter une nouvelle stratégie tactique en plusieurs étapes et suivant un calendrier précis.

De plus, il apparaît clairement que, compte tenu du diagnostic et de l'évaluation des positions actuelles, il existe un consensus russo-américain pour mettre fin à la mainmise de l'organisation Daech sur les régions qui se trouvent sous son contrôle en Syrie et en Irak, et le transfert du contrôle de ces zones respectivement aux forces syriennes pro-régime et au gouvernement irakien. Cependant, ce consensus demeurera tributaire d’une stratégie impliquant des cheminements et des actions multiples, ce qui prendra beaucoup de temps, car il ne s’agit pas seulement d’un accord bilatéral visant à mettre fin à la présence stratégique de l'organisation et de ses milices sur le terrain.

Défis prévisibles

La guerre contre l’organisation Daech en Irak et en Syrie a mis en évidence un certain nombre de défis et de risques liés à l’évolution des stratégies du terrorisme vers une expansion plus importante dans la région et plus difficile à détecter de façon précoce, ce qui laisse présager le déplacement de l'organisation vers d'autres zones qui, jusque-là, n’étaient pas à la tête de ses zones de prédilection, comme: le front jordanien voisin, surtout que les dirigeants de l'organisation ont pris conscience que cette option peut s’avérer intéressante et que ces nouvelles zones peuvent leur offrir refuge et protection; l’autre option est de se replier vers certaines zones bien déterminées en Libye et vers le Sud du Sahel, voire vers d'autres zones ne figurant probablement pas parmi les destinations régionales actuelles, qui se trouvent en Asie. De plus, tout changement dans les options et plans d’action dépendra de la révision des cadres stratégiques que l’organisation mettra en place dans la période à venir, et de l’adoption ou non d’une tactique de retrait par repli progressif vers de nouvelles zones où elle pourrait agir et s’établir, et à partir desquelles elle lancerait ses opérations, étant donné que les dirigeants de l’organisation souhaitent mettre en place des stratégies de premier plan et d’autres périphériques visant à redéfinir les objectifs de l’organisation dans la période à venir et à se réimplanter dans les villes irakiennes et syriennes. C’est ce qui pourrait être l’une des principales options envisageables et constituer par là-même un véritable défi à relever dans la lutte future contre l’organisation et ses opérations. Par ailleurs, la question du retour des combattants étrangers à leur pays d’origine pose elle aussi un défi auquel il faudrait faire face en recourant à toutes les stratégies disponibles et possibles, en particulier du fait que ce dossier, avec toutes ses implications, nécessite la coordination et la collaboration entre les pays de la région, en premier lieu, et les grandes puissances, en deuxième lieu. Et on s’attend à ce que plusieurs pays de la région connaissent de nombreux flux et à grande échelle de combattants étrangers, en raison de leurs nombreux effectifs dans les rangs de l'organisation, et cela ne concernera pas uniquement les pays majoritairement présents au sein de l'organisation, mais s'étendra à de nouvelles zones et régions. Il est également prévu – dans le cadre d’une lecture prospective de la période post-Daech que ses éléments se déplacent vers les zones de conflit actuelles au Yémen et en Libye, et que certains peuvent même fuir et s’infiltrer en Jordanie, en Cisjordanie et en Égypte.

Dispositifs de lutte

Cela nous amène à nous interroger sur la manière de faire face à la nouvelle vague potentielle de terrorisme que représentent les membres de l’organisation, soit en solo et, soit à travers le commandement central de celle-ci, qui loin de s’être désintégrée, comme certains tendent à le croire, verra son rôle s’accroître, comme il ressort clairement du discours de propagande de l’organisation, diffusé par Daech sur ses différents réseaux de communication. En effet, on prévoit l’amplification d’une forme de terrorisme qui opère en dehors d’une structure directive précise et sans se reporter à des décisions émanant du commandement central, et ce, en s’appuyant sur les cellules en grappe et les nombreux loups solitaires, ainsi que sur les attaques terroristes éclairs, qui cibleraient différentes zones, ne se limiteraient pas au Moyen-Orient et s’étendraient aux territoires des grandes puissances. Cela pourrait alors entraver les efforts visant à les éradiquer en l’absence d’une coordination et d’une collaboration efficaces pour lutter contre ce fléau. Par ailleurs, on assistera à une baisse d’intérêt pour le contrôle de régions spécifiques ou de quelques zones territoriales d’un pays ou de vastes territoires stratégiques de la part des membres de l’organisation, qui auront un rôle de premier plan à jouer dans ce qu’il est convenu d’appeler le phénomène du terrorisme urbain, et qui iront même jusqu’à infiltrer la population et les grands rassemblements pour mener, comme l’on s’y attend, des attentats éclairs.

La chute de l'organisation Daech devra contribuer à la montée en puissance du mouvement chiite en Irak, compte tenu en particulier du rôle important joué par les forces des Hachd al-Chaabi (Unités de Mobilisation Populaire) dans la lutte contre Daech. Par ailleurs, le gouvernement irakien sera également confronté aux difficultés relatives au retour des personnes déplacées dans les villes libérées. De plus, les arrangements américano-iraniens indirects sur la situation en Irak se poursuivront dans la foulée de la défaite de Daech, de manière à renforcer la mainmise de l’Iran sur l’Irak sur les plans économique, sécuritaire, politique et religieux.

Il est aussi probable que la chute de Daech à Raqqa contribuera à la multiplication des revendications d'indépendance des Kurdes en Syrie, comme ce fut le cas dans le dossier kurde irakien suite au récent référendum, même si, dans le cas syrien, ces revendications n’iraient pas jusqu’à la réclamation de la création d’un État indépendant, comme dans le cas des Kurdes d'Irak. De même, la Syrie continuera d’être aux prises avec une situation d’instabilité, et ce, nonobstant la signature d’une succession de trêves militaires et leur entrée en vigueur, à cause des revendications des groupes armés actifs, y compris les revendications des Kurdes, qui appellent à l’établissement d’une confédération plutôt que d’un état séparatiste.

Quoi qu’il en soit, la période à venir sera marquée par une guerre sans merci contre le terrorisme, grâce au renforcement de la coopération entre les pays de la Coalition Internationale contre Daech en Irak et en Syrie, ainsi que les pays hors Coalition, comme le montrent les agissements américains et européens. Un Comité de coordination a, à cet égard, été effectivement constitué, composé de représentants des services de renseignement dans ces pays, pour faciliter la coordination et la coopération en matière de lutte contre le terrorisme. Les efforts internationaux se poursuivront, par le biais des services de renseignement internationaux, visant à infiltrer les groupes terroristes, et pas seulement Daech, et à les démanteler de l'intérieur, en créant des scissions au sein de ces groupes et en les montant les uns contre les autres. Ainsi, le conflit actuel abstraction faite de ses motifs et son contexte- entre le Front al-Nosra et Daech offre un terrain fertile pour attiser les tensions et divergences entre eux. Cela contribue également à renforcer le soutien et les allocations de fonds pour lutter contre le terrorisme dans les pays occidentaux, à fournir des aides financières et des subventions aux pays touchés par le terrorisme, tels que l'Irak, la Syrie, le Yémen, le Liban et d'autres pays, ainsi qu’à resserrer l’étau sur les sources de financement de Daech et d’autres organisations terroristes, et ce, grâce au renforcement des procédures et mesures régissant les transferts de capitaux par le biais du système financier mondial et au renforcement du contrôle ciblant les combattants étrangers en Syrie, qui soutiennent l'organisation par des contributions financières. Cependant, - eu égard au contexte de l'escalade de la guerre contre le terrorisme et de l’intensification de l’offensive internationale contre Daech, lequel regroupe un certain nombre d’organisations terroristes affiliées à Al-Qaïda (comme le Front al-Nosra et d'autres)-,la prudence est de mise quant à une éventuelle alliance entre Daech et Al-Qaïda, l’organisation mère– indépendamment des divergences doctrinales et des rivalités-, ce qui pourrait donner lieu à une coopération en matière d’organisation et d’opérations. Ainsi, le monde pourrait assister à de nouvelles activités terroristes qui ne dépendent plus uniquement du déplacement des éléments «takfiristes», mais qui s’étendront également à d’autres régions du monde.