Nombreux d’entre nous pensent actuellement que poursuivre les terroristes en justice et prononcer la peine d’emprisonnement à leur encontre est l’ultime solution qui met fin au danger et à la menace imposée par ce genre d’individus. Néanmoins, la réalité dont les politiques et les agents de l’ordre ont conscience plus que d’autres est que l’incarcédation n’est que le début d’un nouveau chapitre d’une série de dangers et de menaces sécuritaires qui sont, sans exagération, plus dangereuses que les activités terroristes au-delà des murs des prisons. Au-delà des hauts murs de prisons et derrière les barreaux et les portes en fer verrouillées, beaucoup d’encre a coulé sur la haine, la violence et l’ extrémisme abominable. Il y a eu également des fatwas de takfirisme et de marginalisation imprégnées d’une conception drôle et bizarre de la religion. Dans ses couloirs obscurs sont nés les plus dangereux complots qui sont rapidement infiltrés des prisons avant même que leurs auteurs emprisonnés ne les quittent. C’est ainsi que les mains et le savoir-faire criminels ont croisé en prison le chemin des idées obscures et ont « déambulé » ensemble dans les « cours de prison ». Si les prisons sont considérées comme étant les pires lieux pour y vivre, elles sont par la même occasion les meilleurs terrains pour féconder les idées et façonner les esprits obscurs.

L’extrémisme dans le milieu carcéral n’est pas un phénomène récent. Il remonte à la création des prisons. D’ailleurs, l’Histoire retrace la naissance des extrémistes, des commandements, leurs idées, leurs ouvrages et leurs fatwas extrémistes derrière les barreaux des prisons. Cependant, nous avons affaire aujourd’hui à une nouvelle donne. Il s’agit du grand nombre d’incarcérés pour des affaires terroristes qui pullulent dans les prisons de plusieurs pays du monde, notamment au Moyen-Orient. Il y a également une nouvelle donne qui se manifeste par les nombreuses opérations de recrutement et d’attraction des prisonniers en milieu carcéral au profit du courant extrémiste et des organismes terroristes. Il existe aussi un nouvel aspect qui se concrétise lorsque le savoir-faire criminel des prisonniers des affaires pénales se féconde extraordinairement avec les idées extrémistes pour qu’en résulte une réplique très dangereuse de produits terroristes. En ce sens, il nous appartient de nous demander si les prisons dans le monde arabe sont un terrain propice pour accueillir ces terroristes ? Possédons-nous des programmes de réforme et de réhabilitation qui défient les idéologies radicales qu’ils prônent ? Existe-t-il une politique claire déterminant la façon dont les autorités carcérales doivent les traiter tout au long de leur incarcération ? Y-a-t-il un moyen qui empêcherait leurs idées de se propager en milieu carcéral, d’attirer et de recruter des prisonniers pour des affaires pénales? Et enfin, les preneurs de décisions sécuritaires dans les pays arabes ont-ils une conception claire de la façon de traiter avec les combattants revenants des zones de conflit auprès de groupes extrémistes et terroristes? Il s’agit là de la façon de les incarcérer, réhabiliter et réintégrer en toute sûreté au sein de la société une fois leur peine purgée afin d’empêcher leur récidive?

Au moment où de nombreux gouvernements n’ont pas d’éléments de réponse, les extrémistes et les terroristes ont parcouru du chemin pour cerner la vie carcérale, les défis qu’elle impose et son exploitation. A leurs yeux, c’est plus qu’une prison. Leur littérature et leurs ouvrages d’orientation leur expliquent quoi faire et comment le faire ? Ils sont bien souvent préparés à la phase carcérale et la voient comme une sorte de test et un autre chapitre de leur combat, de leur lutte et de leur djihad. Souvent, ils considèrent la prison comme une phase indispensable pour façonner la personnalité djihadiste. Ils ont tendance à appeler cette phase carcérale « l’école joséphiste » en référence au prophète Josef QSSL. La prison est donc à leurs yeux une phase de préparation psychologique et de mobilisation idéologique.

S’agissant de l’influence de l’environnement carcéral sur l’adoption des idées extrémistes, cet environnement a eu au fil de l’histoire une grande incidence sur la propagation des idées extrémistes. Des études scientifiques spécialisées dans ce domaine ont démontré que les prisons ont plusieurs influences négatives sur les individus, qu’on appelle souvent « les affres de la prison » qui drainent le prisonnier vers le courant extrémiste. Ces affres se manifestent par une aversion aux relations sociales soutenant le prisonnier, le laissant seul face à l’environnement carcéral. Seul face à une menace de l’identité et de la virilité suite à une immersion totale et constante dans une communauté masculine puissante et virile. Il y a également une privation d’autonomie et d’intimité, une soumission aux règles et aux coutumes des prisonniers, un sentiment d’insécurité et une propagation de la violence parmi les prisonniers déclenchant un état de peur chronique chez les prisonniers. Et pour finir, il y a le rejet de la société qui stigmatise le prisonnier à l’intérieur et à l’extérieur des prisons.

De nombreuses études modernes confirment cette situation de divers points de vue. En effet, le prisonnier cherche à se repentir de ses péchés. Mais en aspirant au bien, il tombe dans les griffes des extrémistes en milieu carcéral. Ces derniers lui présentent à leur tour plusieurs justifications et motifs qui l’aident à tirer un trait sur le passé. Certains prisonniers à la recherche d’une identité et d’une appartenance adhèrent à des groupes extrémistes en prison pour obtenir un certain statut et quelques privilèges que lui propose le groupe. D’autres prisonniers craignant fréquenter les autres criminels, sont en quête de soutien et de protection que lui offre le groupe. C’est ainsi qu’ils ont le privilège d’adhérer aux groupes les plus puissants en milieu carcéral.

S’agissant du lien existant entre l’extrémisme et le terrorisme d’une part et le bagage (background) pénal et criminel d’autre part, l’histoire des groupes extrémistes et radicaux à caractère politique et idéologique indique qu’ils s’abstenaient auparavant par fierté de tisser des liens avec les criminels, de les recruter et les attirer dans les rangs de leurs organismes extrémistes. Il va sans dire que l’organisation el-Qaeda prenait ses distances des criminels en prison et se rapprochait des éléments pratiquants et instruits. Ces dernières années, néanmoins, les organismes et les groupes terroristes ne tiennent pas vraiment compte de ces critères. Il est évident par exemple que l’Etat Islamique (Daech) est à la recherche d’éléments avec des antécédents criminels pour tirer profit de leur savoir-faire acquis durant leur parcours criminel comme de pouvoir obtenir des armes et des explosifs, de s’habituer à la violence, d’émettre et d’utiliser des documents falsifiés,de voler des véhicules, louer des maisons sécurisées et de se soustraire aux services de sécurité. Les récentes opérations perpétrées par cette organisation dans les capitales européennes en sont la preuve.

Concernant les combattants revenant des zones de conflit, les Nations Unies ont estimé en Avril 2015 le nombre des combattants étrangers qui ont rejoint le combat en Syrie et en Irak de 100 États différents à travers le monde à au moins 22 000 combattants. L’on compte parmi ces combattants 10 000 issus des États arabes et 400 issus de l’Europe de l’Ouest. Si l’on prend en considération le nombre non enregistré des combattants, le total de ces combattants atteint les 30 000. Ce chiffre en question est supérieur au nombre de combattants engagés dans le conflit afghan contre l’armée rouge soviétique. En effet, le nombre de combattants étrangers qui y ont participé entre 1980 et 1992 est d’environ 20 000. D’autre part, la scène syrienne a fait ses preuves en termes de mobilisation et d’attraction des djihadistes durant les 20 dernières années.

Il y a eu en Syrie une mobilisation des combattants étrangers parmi les jeunes européens, bien plus que tout autre combat à travers le monde durant les 20 dernières années. Face à ce grand nombre d’incarcérés qui seront arrêtés au futur, il faut réfléchir à comment sera l’état des prisons ? Même si le présent article ne permet pas d’aborder la nécessité, l’importance et l’utilité des programmes de réhabilitation, il y a lieu de mentionner que beaucoup estiment que ceux qui ont été responsables de leur terreur et des préjudices causés à leur égard ne méritent aucun bon traitement ou attention particulière de la part de la société. D’autre considèrent que toute démarche et tentative en leur faveur sera inutile et il n’est pas exclu qu’ils les exploitent pour obtenir certains acquis qu’ils ne méritent pas tels que leur mise en libération précoce. Cette conviction n’est malheureusement pas celle du simple citoyen uniquement, mais celle du responsable des décisions sécuritaires. Dans cet esprit, le site du journal britannique Independent a rapporté en 2017 les propos du Ministre d’Etat au Développement International en Grande-Bretagne, M. Rory Stewart qui a déclaré que : « la seule façon de traiter avec les combattants britanniques de l’Etat Islamique en Syrie est dans presque tous les cas de les tuer». Dans le même sens, le représentant des États-Unis pour les forces de la coalition luttant contre Daech, M. Brett McGurk, a déclaré que : « la mission de la coalition est de s’assurer que les combattants étrangers en Syrie y meurent. » Selon la Ministre française de la Défense, Florence Parly: «s’il y a des djihadistes qui périssent dans ces combats, je dirais que c’est tant mieux».

Dans le monde arabe, de nombreux Etats tentent de les ignorer et empêcher leur retour au pays. Durant ces dernières années, les Etats et les sociétés arabes ont vécu une expérience amère et très couteuse avec les combattants revenus des zones de conflit en Afghanistan, communément appelés « les Afghans arabes ». En parallèle, l’absence d’une autorité politique centrale en Syrie ou son manque de souveraineté absolue sur ses territoires comme en Irak a ouvert l’appétit des Etats arabes quant à l’idée de les ignorer et ne pas les accueillir. Cette thèse peut être une stratégie sécuritaire efficace et réussie pouvant durer des années. Mais elle est certainement transitoire et temporaire, inhérente à la situation actuelle en Syrie et en Irak. Par conséquent, on ne connait actuellement qu’un seul sort pour ces individus revenant des zones de conflit à savoir la prison.

En conclusion, nous pouvons dire qu’en dépit du tableau noir dressé des prisons dans le présent article, elles demeurent l’unique occasion en or aux mains de l’Etat et de la société pour engager un dialogue direct avec les terroristes. En outre, les prisons sont un terrain propice et idoine pour comprendre et défier les idéologies extrémistes et radicales de ces individus en plus de les discuter, les réfuter, les décortiquer et révéler leurs zones d’ombre à l’aide des programmes de réhabilitation dont le programme saoudien offrant des services de conseils est le plus performant.