L’extrémisme n’est pas le fruit du hasard, mais plutôt le résultat d’une combinaison de plusieurs facteurs religieux, intellectuels, sociaux, politiques, psychologiques et autres, qui contribuent tous à sa formation. Les idées extrémistes ne peuvent pas être traduites en pratiques, actes ou comportements terroristes à moins qu’elles ne soient prises en charge par des incubateurs. Le monde actuel est très intéressé à détecter et à appréhender ces incubateurs pour pouvoir les éradiquer et assurer la sécurité et la stabilité du monde.

Premièrement: Le concept d’incubateur

L’incubateur de l’extrémisme et du terrorisme signifie l’environnement qui permet la croissance des idées extrémistes et terroristes, et qui est le produit de nombreuses interactions. Le monde contemporain se compose de nouvelles interconnexions mondiales qui peuvent se résumer aux éléments suivants:

1. Les frontières et la souveraineté nationale s’estompent: En raison des technologies, des télécommunications et de la mondialisation excessive.
2. Le chevauchement des politiques internes et externes: Il n’y a plus de frontières claires entre elles, comme c’était le cas auparavant. Les politiques intérieures affectent les politiques étrangères et vice versa.
3. Le concept de pouvoir change: De nouveaux schémas de pouvoir matériel et immatériel sont apparus, et les mouvements transnationaux ont bénéficié du progrès technique contemporain qui permet aux individus et aux groupes d’affronter des armées régulières, dans une guerre asymétrique.
4. L’exclusion économique mondiale: De nombreux peuples souffrent de l’exploitation, du pillage de leurs richesses, de leur marginalisation dans le domaine du commerce mondial, et de la suprématie de la logique de (partialité), ce qui contribue au débâcle de ces pays et à l’incapacité de leurs économies à faire face à la concurrence féroce et parfois malhonnête. Cette exclusion approfondit également le gouffre entre les économies des pays riches et pauvres, et conduit à l’émergence de pays défaillants, impuissants et en faillite, ce qui affecte leur sécurité sociale, et aide à l’émergence de mouvements de protestation et à des conflits internes sectaires et politiques.
5. La violence mondiale: La perte d’équilibre dans (l’ordre mondial) et les conflits (géopolitiques), (géoéconomiques) et (géoculturels), entre les différents groupes dans les relations internationales aboutissent à une situation de turbulence caractérisée par la violence mondiale: Violence contre les pauvres, violence contre la nature, violence contre les individus et violence interne et externe. L’état de violence mondiale permet l’émergence de mercenaires, d’organisations du crime organisé, de mouvements extrémistes et terroristes et de semi-États.
6. Le nouveau tribalisme mondial: La perte de sécurité, à l’intérieur et à l’extérieur, pousse les individus et les groupes à s’engager dans des organisations intellectuelles, politiques et religieuses qui endossent le projet de protection contre la violence dans le monde et promettent de créer des sociétés idéales qui garantissent la dignité humaine en échange de la loyauté et de l’obéissance à leur diktat. Le nouveau tribalisme mondial, régional et local, ne se base pas sur la logique de la race, ou sur les liens traditionnels, mais repose plutôt sur les idées, les visions et les représentations de soi, de l’autre et du monde. Il est apte à tisser les maillons de l’extrémisme et du terrorisme.
7. L’effondrement des références morales dans les interactions mondiales: Les interactions mondiales se caractérisent par l’hégémonie de la logique de l’intérêt et du bénéfice sans égard aux exigences morales. Le réalisme prévaut toujours dans la formulation des politiques publiques étrangères, ainsi que dans la politique de certaines organisations transnationales, tout autant que dans le comportement des individus. Le consumérisme extrême, l’individualisme hypertrophié et le nihilisme ont contribué à façonner le comportement général des individus. Les interactions sociales qui ont perdu leur cohésion morale conduisent à des types de comportement agressif envers l’autre, se nourrissant de la logique de la peur et de la perte de confiance et d’espoir en l’avenir.

Deuxièmement: Les types d’incubateurs

Les incubateurs de l’extrémisme et du terrorisme sont multiples et connexes. Ils sont liés à la réalité sociale en constante évolution et se caractérisent par la transmutation, la complexité et la vulnérabilité aux interactions mondiales et régionales. Les incubateurs les plus importants se présentent comme suit:

1- La Famille: C’est la première institution sociale à qui incombent l’éducation, le transfert de valeurs et le développement de la conscience sociale chez l’enfant. Par conséquent, si la famille est affectée par des idées extrémistes et penche pour le terrorisme, elle mènera sans aucun doute les enfants vers (le terrorisme familial), qui vise à ce que les membres d’une même famille contribuent à la mise en œuvre d’opérations terroristes, et les exemples abondent dans ce sens, tels que: L’implication des Tchétchènes Tarasnev, dans les attentats du Marathon de Boston, en Avril 2013 , les frères Kawashi, dans les attentats à la bombe du journal Charlie Hebdo, en Janvier 2015, et l’implication de toute une famille dans les attentats suicides de la ville indonésienne de Surabaya, le 13 Mai 2018, ce qui est vraiment regrettable car cette famille comprenaient des enfants entre 13 et 15 ans.
Le danger de ce type de terrorisme réside dans le fait qu’il offre un type de recrutement difficile à découvrir, car les liens solides parmi les membres de la famille les empêchent de se dénoncer et de communiquer leur plan terroriste, notamment si leur action revêt un caractère émotionnel fort, comme de venger un membre de la famille tué ou incarcéré. 
2- Le Système scolaire et éducatif: La plupart des personnes intéressées par les questions d’extrémisme et de terrorisme conviennent que l’école ou le système éducatif, en général, est un incubateur potentiel d’extrémisme, car les programmes scolaires, les méthodes d’enseignement et le contenu des cours peuvent porter les germes d’une pensée d’exclusion et d’extrémisme.
L’intolérance religieuse dans certains pays amène les établissements d’enseignement à promouvoir des discours qui n'appellent pas à la cohabitation et au respect de la différence, mais propagent plutôt la haine, l’ostracisme, le bannissement, l’excommunication et l’anathématisation, sachant que le principe de base de la religion est la cohabitation, l’harmonie et les bonnes convenances.
Aussi, les responsables des manuels scolaires sont-ils tenus de respecter les religions célestes, d’enseigner aux jeunes les vertus du débat et de désavouer les différends délétères conduisant au sectarisme et à l’exploitation de la religion à des fins politiques et ethniques. Ainsi, les discours d’extrémisme religieux, ethnique et politique élaborées dans certaines écoles peuvent contribuer à l’émergence de courants extrémistes qui appellent à la violence symbolique, ainsi qu’à la violence physique, c’est-à-dire aux pratiques terroristes.
3- Les clans et les tribus: Il existe des liens étroits entre les membres des tribus qui s’accordent sur des représentations culturelles mettant en valeur leur vision étroite de soi, de l’autre et du monde, surtout si ces tribus n’endossent pas les valeurs de la religion juste, ou si elles prônent leurs propres valeurs qui font l’éloge de leur suprématie ethnique.
Il est bien admis que, même dans les sociétés modernes où les institutions tribales et claniques se sont désintégrées, il existe encore des liens sociaux entre les individus appartenant à des entités spécifiques. Dans les sociétés traditionnelles où le clan est toujours présent, il est facile pour leurs membres de faire preuve de solidarité dans des cas spécifiques, et d’adopter une rhétorique extrémiste ou raciste envers d’autres clans, ou envers les institutions de l’État moderne, dont l’élite est constituée d’un clan rival.
La propagation et l’enracinement de l’extrémisme dans des pays comme le Mali, le Niger et le Nigéria sont dues à cette alliance entre tribus et organisations terroristes qui sont devenues une alternative à l’État fragile et défaillant. Par exemple: Le Front de libération de Masséna édifie son projet religieux et politique sur le rassemblement de la diaspora de la race peule et la relance de l’empire Masséna, et ainsi certaines tribus peules se font les incubateurs de ce mouvement extrémiste.
4- Les Prisons: Ce sont les incubateurs les plus dangereux de l’extrémisme et du terrorisme, comme l’attestent de rapports régionaux et internationaux.
Le criminologue Harvey Kouchner considère les prisons des pays occidentaux comme de vastes espaces pour recruter des extrémistes et des loyalistes à Al-Qaïda, bien que ce recrutement ne se limite pas à l’extrémisme religieux, mais englobe aussi l’extrémisme politique et ethnique dans les pays non musulmans. Mark Ham, ancien gardien de prison et professeur de criminologie, cite certaines causes de l’extrémisme dans les prisons dont notamment: Le surpeuplement, le manque de services nécessaires, les abus et la mauvaise gestion.
5- Les Camps: Les camps de personnes déplacées et de réfugiés sont également des incubateurs potentiels de l’extrémisme, car ils abritent des individus et des groupes souffrant de conditions difficiles et inhumaines, ce qui est une raison suffisante pour recruter ces gens dans des organisations extrémistes et terroristes. Ainsi, par exemple, le camp d’Al-Hol, pour les réfugiés irakiens et les Syriens déplacés, rassemble plus de 4.000 femmes et 8.000 enfants des familles de Daech, vivant dans des circonstances difficiles susceptibles de les inciter à venger leurs familles et leurs parents.
6- Les Organisations et clubs culturels et politiques: En dépit du respect par certains individus et groupes des lois régissant la fondation des associations et des clubs, il apparaît que parfois ces lieux se muent en un espace idéal pour enseigner les idées extrémistes, comme ce fut le cas pour la droite ultra en Europe, en Amérique et dans le reste de l’Occident.
7- Le monde virtuel: Le réseau internet permet de créer des collectivités extrémistes grâce à l’aisance, l’intégralité et l’universalité des communications. Les organisations extrémistes accordent une attention particulière à leur présence dans le monde numérique et mettent au point des moyens pour inciter le plus grand nombre de membres à devenir influents dans la promotion de l’extrémisme et la pratique du terrorisme.

Troisièmement: Les facteurs de résistance

Les incubateurs de l’extrémisme et du terrorisme sont capables de passer de la clandestinité à l’action en public, et de changer le rythme et l’ampleur de leurs agissements. Il existe de nombreux modèles de sociétés caractérisées par la modération et la stabilité, qui se sont vite transformées en régions embrasées, comme l’Irak, la Syrie, le Yémen, la Libye, la Somalie et l’Afghanistan, ainsi que les pays d’Afrique de l’Ouest comme le Nigéria, le Niger, le Mali et le Burkina Faso, en une sorte de cercle vicieux qui se développe sans cesse.

Ce passage de la modération à l’extrémisme et au terrorisme est dû au fait que ces incubateurs ont été laissés-pour-compte et que rien n’a été fait pour s’attaquer aux questions qui alimentent l’extrémisme et le terrorisme. Or, il existe un ensemble de conditions préalables pour limiter la propagation des incubateurs d’extrémisme:

1-    La condition politique: Les sociétés doivent jouir de la conscience politique et d'une réelle volonté d’éradiquer la corruption, les inégalités et l’injustice, accepter le transfert pacifique du pouvoir, et éviter la logique des (loyautés plutôt que les compétences). Au niveau de l’expansion externe, il faudrait faire prévaloir le modèle de coopération réelle plutôt que celui d’expansion (géopolitique) et de chaos.
2-    La condition économique: Adopter un véritable développement économique, inviter les hommes d’affaires à une économie solidaire, et cesser l’envie immorale de faire des profits sans contribuer à soutenir les groupes sociaux vulnérables.
3-    La condition cognitive: Encourager la recherche scientifique fiable pour comprendre tous les phénomènes d’extrémisme et de terrorisme, paver le chemin de la liberté pour la créativité intellectuelle et établir une étroite coopération entre les centres de recherche et les décideurs politiques pour formuler des politiques basées sur la recherche scientifique.
4-    La condition éducative: Adopter des systèmes éducatifs qui assoient la logique de la coexistence et du dialogue constructif, le respect de l’autre et des institutions de la nation et le sens de la sécurité sociétale et de l’unité nationale. 
5-    La condition médiatique: La nécessité de la contribution des médias à clarifier les dangers de l’extrémisme, du terrorisme et du sectarisme, au lieu d’alimenter les préjugés, et de se mobiliser en faveur d’un groupe au dépend d’un autre. Les médias devraient également faire prévaloir la vérité, éviter les fausses nouvelles, agir avec professionnalisme pour conquérir les jeunes qui se plaignent des «médias officiels» et encourager les initiatives médiatiques de la jeunesse pour promouvoir l’intercession  sociale et l’acculturation des pairs.
6-    La condition sécuritaire: Adopter une nouvelle culture sécuritaire basée sur la coopération et la confiance entre les agents de sécurité et les citoyens, respecter les Droits de l’Homme, et recourir aux moyens de prévoyance en matière de sécurité.
7-    La condition religieuse: Mener une conscientisation religieuse appropriée tout en prenant en compte les types de destinataires et leurs cultures, diversifier le discours religieux modéré et renouveler ses méthodes de présentation, prendre soin des questions qui intéressent les jeunes, multiplier les débats religieux avec les extrémistes pour dénoncer leur rhétorique fallacieuse, qualifier les imams et les prédicateurs et les former aux techniques de la polémique et des échanges de vues et à s’ouvrir à la culture de l’autre.

D’une manière générale, la question des incubateurs qui alimentent l’extrémisme et le terrorisme ne peut être sous-estimée, car ces pépinières revitalisent ces fléaux et assurent leur diffusion. Aussi, les sociétés sont-elles tenues d’adopter des approches intégrées pour traiter cet important aspect.