Depuis 2009, le groupe terroriste Boko Haram (BH) commet des assassinats et des actes de violence à grande échelle dans le bassin du lac Tchad. La disparition de Muhammad Yusuf a entraîné un changement dans la gestion des opérations du groupe sur le sol nigérian. Cet article examine les divisions au sein du groupe et l'impact des changements internationaux dans les choix stratégiques et la fragmentation des organisations terroristes au Nigéria. Il tente également de comprendre les causes de ces conflits et leur impact sur la lutte contre le terrorisme et le rétablissement de la paix dans la région.

Origines du conflit

BH s'est avéré être l'une des organisations terroristes les plus résilientes. Elle s'est développée rapidement et a souvent changé d'alliances. On a annoncé maintes fois la mort du groupe. La survie de BH pendant près de deux décennies et sa capacité à maintenir son existence, seraient dues à la capacité de ses membres à faire des changements dans leurs politiques et leurs plans stratégiques, perpétuant son existence sous d'autres formes nées au sein de conflits intestines.

La survie de BH l'a placé dans les rangs des mouvements terroristes mondiaux durables, tels qu'Al-Qaïda et le Hezbollah qui s'est développé de l'insurrection locale à une idéologie extrémiste menant des attaques violentes. Cette organisation a su s'adapter aux circonstances volatiles et aux changements internes de personnel, de financement, d'organisation, d'équipement et de technologie.

Le noyau du groupe BH est apparu en 2002 parmi un petit groupe de jeunes inconnus, dirigé par Muhammad Yusuf, qui a établi le siège du groupe à Maiduguri au nord-est du Nigéria. Entre 2002 et 2009, cet homme a réussi à recruter un grand nombre de jeunes dont l'âge varie de 17 à 30 ans. De nombreuses familles pauvres et de jeunes chômeurs du nord du Nigéria et des pays voisins comme le Niger, le Tchad et le Cameroun l'ont rejoint. Boko Haram a lancé des programmes sociaux pour aider les nécessiteux, et le discours du groupe est devenu populaire, car il défendait le nord du pays des riches qui pillaient ses richesses.

Le mouvement a traversé une nouvelle phase après la mort de son fondateur en 2009. Abu Bakr Shekau en a pris la direction mais le groupe a cessé depuis 2011 d'être une entité unique, après que diverses factions se sont rebellées contre l'organisation mère, ce qui a conduit à sa division en trois groupes différents, qui se distinguent par des contradictions dans l'idéologie et les méthodes de travail. Il s'agissait du Groupe de la Sunna pour la Prédication et le Jihad (JASLWJ) dirigé par Abu Bakr Shekau, et de la branche de Daech appelée «Province islamique de l'Afrique de l'Ouest» (ISWAP). Daech a reconnu cette branche en 2016 et nommé Abu Musab al-Barnawi, à la place de Shekau, qui lui avait prêté allégeance en 2015, ce qui a conduit à la division du groupe entre eux. La plupart des militants de BH suivirent al-Barnawi, et Shekau est resté à la tête des éléments restants. Le groupe (Ansaru) fit scission de BH en 2011, en raison de l'opposition de ses membres au ciblage des civils musulmans et du recours de Shekau à la violence aveugle, et dont les opérations se sont concentrées sur le ciblage des intérêts occidentaux dans les zones où il opérait. Malgré les différentes classifications, le nom de Boko Haram a parfois été utilisé pour désigner collectivement les différentes factions, en particulier lorsqu'il existait un doute quant au groupe responsable de l'attaque.

Le meurtre d'Abou Bakr al-Baghdadi en 2019 a jeté une ombre sur la scène du terrorisme au Nigéria, alors que Daech en Afrique de l'Ouest intensifiait ses attaques contre les cibles civiles, ce qui a renforcé l'insurrection et les divisions du groupe terroriste dans le bassin du lac Tchad.

Conflit de dirigeants et de politiques

L'émergence de Daech et d'Al-Qaïda au Maghreb islamique a eu un impact profond sur la fragmentation de BH dans le nord du Nigéria. Afin d'y comprendre la complexité de la situation des organisations terroristes, il faudrait voir de près la relation mutuelle entre les groupes susmentionnés et leurs dirigeants.

a) Faction Abu Bakr Shekau

Shekau a rencontré Muhammad Yusuf en 1990 et devenu l'un de ses adjoints. Puis, après la mort de Muhammad Yusuf, il a pris la direction du groupe et a épousé l'une de ses veuves. Mais Shekau était critiqué pour sa conduite erratique.

La branche de BH sous la direction de Shekau se caractérisait par sa violence excessive et ses attaques régulières contre les musulmans et les chrétiens. Shekau a tué ses deux conseillers religieux: Cheikh Abd al-Malik al-Ansari al-Qadunawi et Abu al-Abbas al-Bankiwani. Quiconque ne soutient pas l'organisation est considéré comme un partisan du gouvernement et fait l'objet de ciblage. Ses combattants pratiquaient la violence et maltraitaient la population, ce qui a conduit à l'émergence de groupes populaires pour les combattre, comme la Force Conjointe d'Action Civile. BH était très actif au sud et au centre du Nigéria, notamment à Maiduguri et le long de la frontière camerounaise. Il a des bases dans le nord-ouest du Nigéria, notamment dans l'Etat du Niger.

b) Faction Abu Musab al-Barnawi

En 2016, Daech a nommé Abu Musab al-Barnawi comme chef de Boko Haram pour remplacer Shekau, qui a refusé de reconnaître l'autorité d'al-Barnawi. Une partie du groupe a fait défection sous son nom d'origine, Groupe Ahl al-Sunnah pour la Prédication et le Jihad, tandis qu'al-Barnawi est devenu chef de la branche du groupe Daech en Afrique de l'Ouest sous le nom de «Wilayat Islamique de l'Afrique de l'Ouest». Le groupe Shekau comprenait 1500 guerriers et le groupe d'Al-Barnawi, 3500 combattants. Daech a dénoncé Shekau et l'a considéré comme un adepte de l'idéologie Kharijite

Reuters a cité le général des Marines Thomas Waldhauser qui a confirmé la défection de près de la moitié des membres de BH et la création d'un groupe indépendant. En raison de leur mécontentement face à l'engagement de BH envers les instructions de l'EI, Shekau a ignoré les ordres de l'EI de cesser d'utiliser des enfants comme kamikazes et de cibler les mosquées et les marchés avec des explosifs.

Le désaccord entre les deux factions est dû au fait qu'Al-Barnawi considère la population de la région comme des musulmans, tandis que Shekau les considère comme des non-musulmans. Al-Barnawi a promis qu'il ne ciblera pas les mosquées ou les marchés du nord du Nigéria. Il a fait plusieurs déclarations aux médias affiliés à Daech, montrant son engagement en faveur de l'éradication des non-musulmans par tous les moyens.

Dernièrement, Il s'est avéré difficile pour l'un ou l'autre groupe de contrôler la région sous une seule autorité, même après avoir organisé de nombreuses opérations terroristes.

​C) Faction «Ansaru»

Une faction du groupe BH a fait défection pour établir la Jamaat Ansar al-Muslimeen fi Bilad al-Sudan (Ansaru) en 2011, pour être le groupe le plus influent du nord-ouest. La faction dissidente comprenait certains dirigeants qui travaillaient avec Shekau, tels que le commandant militaire Abu Muhammad al-Bushawi et le conseiller religieux Sheikh Abu Usama al-Ansari Muhammad Awal al-Ghambawi, qui a pris la direction du groupe dissident.

Néanmoins, de nombreux commandants et soldats sont restés sous la bannière de Shekau, dont les deux commandants militaires Abu Saad al-Bamawi et Muhammad Salafi. Shekau s'est impliqué dans une lutte contre les Ansar, qui a abouti au meurtre de leur chef, Abu Usama al-Ansari. Après que le gouvernement nigérian a arrêté les dirigeants Ansar restants, cette faction dissidente ne représentait plus aucune menace majeure pour la direction de l'action terroriste de Shekau au Nigéria.

Selon les rapports de Terror Watch, la faction Ansaru s'est spécialisée dans le recrutement stratégique ciblant les membres des groupes et gangs criminels les plus dominants du nord-ouest du Nigéria, et est active dans la contrebande d'armes et la formation. Ce changement de méthode révèle une alliance entre les criminels, les bandits et le groupe Ansaru, dans les États du nord-ouest, devenus une région plus menacée par le terrorisme que la région du nord-est, ayant permis la création du réseau terroriste le plus complexe sans précédent au Nigéria.

Le groupe Ansaru n'est peut-être pas la plus grande menace terroriste au Nigéria, mais sa capacité à réapparaître au premier plan des événements peut indiquer qu'il poursuit une politique dangereuse, qui consiste à utiliser l'élément de surprise pour prendre le pouvoir et s'implanter en douceur au sein des communautés.

Conflits et société

Selon certaines recherches, la résilience d'un réseau terroriste repose sur deux facteurs: la bureaucratie et le soutien communautaire. Les groupes à la structure organisationnelle décentralisée sont plus susceptibles de perdre leurs ​dirigeants que le groupe au leadership hiérarchique. En appliquant cela BH, en tant qu'organisation terroriste, on constate qu'Al-Qaïda en Afrique est dotée d'un niveau de bureaucratie. Le Conseil de la Choura se compose de 4 membres dont chacun est responsable d'un département différent. BH semble ici imiter le modèle d'une des factions d'Al-Qaïda.

En termes de soutien communautaire, la faction BH de Barnawi a acquis récemment une influence significative et dispose d'un groupe de soutien beaucoup plus important que celui de Shekau. Grâce à la hiérarchie et au suivi du Conseil de la Choura établi par le biais de nominations et d'alternatives dans la prise de décision, les factions terroristes au Nigéria ont renforcé leur capacité à se défendre, à la lumière des changements soudains de leadership.

BH s'attèle à planifier l'avenir du terrorisme dans le bassin du lac Tchad et à propager l'extrémisme dans le nord du Nigéria. En adaptant son idéologie, ses processus de recrutement et ses moyens d'action aux évolutions de son environnement opérationnel, BH se développe et se reconstruit malgré son inefficacité, et a émergé après avoir préservé son entité. Malgré toutes ses insuffisances, BH tente toujours de faire face à l'option militaire qui le menace.