L’extrémisme violent est un phénomène mondial. Considéré comme un fléau à la fois complexe et très dynamique, il exerce une grande influence sur les États, bouleversant l’ordre social des communautés sahéliennes. Plus qu’une question d’actualité, l’extrémisme violent constitue un souci majeur pour les pays du Liptako Gourma, le Burkina Faso, le Mali, le Niger. 

Toutefois, ce fléau n’a pas encore livré tous ces secrets. Jadis, perçu comme un phénomène d’obédience masculine, la présence du genre dans les groupes armés semble devenir un sujet pertinent de recherche. De plus en plus, les données mentionnent la présence féminine dans les rangs des groupes armés. C’est le cas par exemple du rapport Oxfam de 2020 et de celui d’International Alert (Dogmatisme ou pragmatisme, extrémisme violent et genre au Sahel Central). Dès lors, il ne sera pas étonnant de soutenir que l’extrémisme violent se féminise au Sahel et en particulier au Burkina.

Femmes et Terrorisme
D’ailleurs, si au Sahel, l’implication des femmes dans les groupes armés semble nouvelle en l’absence de données, elle est déjà une stratégie appliquée par Boko Haram dans ses combats, les femmes ayant commis, de gré ou de force, 434 attentats-suicides dans la région du Sahel entre 2011 et 2017. Nul doute que la présence féminine a eu un notable impact en matière de communication et un crédit social inédit. L’on pourrait conclure qu’avec la proximité, les possibles influences auraient inspiré les groupes armés au sahel qui seraient en train d’expérimenter cette stratégie. Cette nouvelle donne exige que l’on questionne notre appréhension et représentation de l’extrémisme violent.

Impact de la participation de la femme
Cet article focalise sur l’analyse du rôle du genre dans l’extrémisme violent au Burkina. Il s’agit de comprendre la fonction de la femme dans l’extrémisme violent. Traditionnellement représentée comme principale victime des conflits armés, l’analyse d’autres pans, tels le rôle de la femme pourrait permettre de comprendre les stratégies de l’instrumentalisation de la femme par les groupes armés terroristes et également contribuer à bâtir un discours qui puisse déconstruire certaines perceptions et croyances. Dans ce sens, le Président Barack Obama avait affirmé lors du sommet des Leaders sur la lutte contre l’État Islamique et l’extrémisme violent, en Octobre 2015 en ces termes : «On ne combat pas les idéologies avec des fusils, on les combat avec de meilleures idées – une vision plus attrayante et convaincante ». C’est pour cette raison que la meilleure appréhension de la présence des femmes dans l’extrémisme violent pourrait faciliter la conception et d’ajuster la place de la femme dans la prévention du phénomène. 

Notre analyse va porter principalement sur quatre points : La dégradation de l’environnement sécuritaire au Burkina Faso affecte le genre, le genre comme principale victime du rouleau compresseur de l’EV, les modalités d’engagement des femmes dans les groupes armés au Burkina et les Femmes comme vecteurs de paix.

1. Dégradation de l’environnement sécuritaire affectant le genre
L’environnement sécuritaire au Burkina s’est fortement et progressivement dégradé. L’insécurité semble endémique. L’extrémisme violent qui avait largement contribué à l’insécurité dans les régions du Sahel a, peu à peu, affecté les autres régions notamment la région du Nord, du Centre-nord, de l’Est, et la Boucle du Mouhoun où ces groupes sévissent de manière continuelle. Désormais, une partie du territoire est sous le rouleau compresseur des groupes terroristes qui fait son lot de victime au quotidien. 

Outre la violence armée multiforme, se greffent les conflits locaux et communautaires et   des menaces de radicalisation progressive des femmes. Tous ces facteurs ont pour dénominateur commun l’usage de la violence. La spirale des attaques  affecte l’autorité de l’État dans sa stabilité et dans son intégrité. Ainsi, les attaques déstabilisent le pays et mettent en péril les projets de développement. Également, elles questionnent les capacités de l’État à assurer son rôle régalien sur l’étendue du territoire et par la même occasion protéger les femmes des actes de violence. 

2. Genre comme principale victime du rouleau compresseur de l’EV
Au fil du temps, les groupes extrémistes ont façonné et adapté leurs stratégies de violence. Simultanément, les cibles des groupes extrémistes ont évolué au Burkina Faso. Au début de la crise, les groupes extrémistes s’empennaient à l’autorité de l’État à travers ses représentants, les leaders communautaires et les victimes collatérales. Les femmes n’étaient pas jusque-là dans le viseur de ces groupes. Le 24 décembre 2019 restera une date fatidique dans l’histoire de l’insécurité au Burkina. Ce jour-là, les femmes sont devenues des cibles directes des terroristes. Selon les médias, 31 femmes ont été tuées suite à une attaque d’une base militaire à Arbinda. Dès lors, les femmes victimes de l’extrémisme violent sont très importantes. 

Les attaques perpétrées par les groupes extrémistes ont gravement impacté la vie des femmes et les enfants. On dénombre des pertes humaines, matérielles, des ressources naturelles et financières. Elles demeurent la principale cause de déplacement massif de populations (déplacés internes, réfugiés). Les femmes sont affectées par l’extrémisme violent de diverses manières soit directement soit indirectement. Il s’agit principalement des cas d’enlèvements, de viols, de mariages forcés, d’esclavage sexuel, de tuerie et de psychose. On peut citer également les modifications de l’ordre social tel que le changement d’accoutrement, d’abandon d’écoles, de certaines activités vitales et pratiques. Il convient de mentionner les traitements effroyables qui sont les manifestations les plus visibles de l’horreur que vit le genre.

La fuite à la recherche d’un endroit sécurisé par les populations augmente la vulnérabilité des groupes défavorisés, principalement les femmes et les enfants. Cette situation est soutenue par une étude  d’Oxfam de Mai 2020. Le rapport relève que « Les femmes ont identifié plusieurs besoins prioritaires, comme l’accès à l’eau, la sécurité, ainsi que les besoins en vivres, abris et éducation. (…) L’insécurité est permanente. L’ensemble des acteurs et des femmes consultées confirment l’ampleur des traumatismes psychologiques découlant du conflit et amplifiés par le déplacement forcé et le degré extrême de privation qui s’ensuit.»  

L’une des conséquences majeures de l’extrémisme violent au Burkina concerne le bouleversement de l’ordre social. En effet, les femmes sont devenues veuves et donc responsables solitaire de la famille. Le changement brusque de statut social engendré par l’extrémisme violent génère d’énormes conséquences sur la vie des femmes. La dislocation de la cellule familiale provoquée par le départ des hommes qui abandonnent soit volontairement soit par contrainte leur famille fragilise davantage la situation du genre. Désormais et de façon durable, les femmes sont contraintes d’assumer un double rôle à savoir celui de chef de famille et de mère célibataire. 

En plus, la recherche des moyens de subsistances entrainent les femmes dans des contrées lointaines. Cette situation expose les femmes à toute sorte de violences que ce soit dans leurs localités, ou sur la route de l’exode ou sur les sites d’accueil. L’accroissement de la violence fait que les femmes payent un lourd tribut. D’ailleurs, les violences sexuelles spécifiquement sont devenues des armes de guerre. Ainsi, les auteurs des violences sont principalement les groupes armés non identifiés dans la partie du territoire où l’insécurité est des plus grandissantes.

Sur le plan économique, la destruction du tissu économique et social impactent considérablement les conditions de vie de la femme. En effet, les mesures sécuritaires et la situation sécuritaire ne favorisent pas les réalisations des activités économiques.

Il est indéniable de retenir que la modification des rôles des femmes imposée par les conflits est un nouveau défi à relever par la gent féminine. La compréhension des facteurs d’enrôlement permettront d’ajuster les mesures de prévention. 

3. Modalités d’engagement des femmes dans les groupes armés au Burkina
L’engagement des femmes dans les groupes armés extrémistes au Burkina est un champ d’exploration. Parce que les femmes étaient considérées comme victimes des conflits, leur implication dans les groupes armés reste rarement ou très peu discutée. Toutefois, cette approche mérite d’être réadaptée au regard de l’amplification de la violence et des occasions de l’instrumentalisation du statut de la femme. Il convient de retenir que les femmes à l’image des hommes pourraient jouer un rôle actif dans la propagation de la violence et dans la prévention. Á titre illustratif, selon un article du journal en ligne Ouaga News, on dénombre plus de 2000 femmes dans les rangs des groupes d’auto-défense Kogl-wéogo. Selon cet article, les femmes jouent plusieurs rôles en matière de sécurité. Il s’agit des services administratifs des associations, des missions d’interpellation et du renseignement, des appuis logistiques et des patrouilles. Par ricochet, les femmes qui décident de rejoindre ou de collaborer avec les groupes extrémistes pourraient exécuter ces tâches voire plus.

Également, il s’avère pertinent de questionner les facteurs de radicalisation car ceux-ci pourraient ignorer la dimension du  genre. Ils peuvent se révéler  identiques à ceux des hommes. Au-delà des pesanteurs socio-culturelles et la pauvreté, les femmes pourraient s’engager dans les groupes armés pour plusieurs raisons. Ainsi, les réalités socio-culturelles et l’environnement sécuritaire vont déterminer les modalités d’enrôlement des femmes dans les groupes armés. Toutefois, elles ne devront pas être essentiellement différentes des autres pays tels que le Nigeria et la Somalie. 

Selon le rapport international Alert, les femmes pourraient jouer le rôle de sympathisantes, mobilisatrices, facilitatrices, traductrices et éducatrices. Au regard de l’insécurité ambiante dans certaines zones, des femmes pourraient s’enrôler dans les groupes armés par contrainte ou par nécessité de survie. Du moins c’est ce qui ressort du rapport Oxfam précité. En effet, on note que la réponse humanitaire est insuffisante par rapport à l’ampleur des besoins. Le rapport mentionne les besoins prioritaires tels que l’eau, la sécurité, l’alimentation, le logement, l’éducation et le harcèlement pour bénéficier de la prise en charge.  Ces besoins basics conjugués à la violence ainsi que la remise en cause d’un ordre social patriarcal sont des motifs qui peuvent contribuer à l’enrôlement de la gente féminine au Burkina.

Les raisons sus citées notamment celles relatives au statut social des femmes sont des facteurs susceptibles d’être exploités par les groupes armés pour s’implanter dans les communautés. Pour le reste, le recours aux femmes est bénéfique. Il est une stratégie de guerre qui permet aux groupes armés de s’infiltrer facilement dans les communautés et de se déplacer sans éveiller les soupçons. Par la même occasion, les groupes extrémistes opèrent un bouleversement social établi. Enfin, de par son rôle social important dans la société, obtenir l’adhésion de la femme serait un succès dans leur politique de propagation de la violence. 

C’est pourquoi, l’enrôlement des femmes bien qu’il soit négligeable pour le moment mérite une attention particulière afin de mieux comprendre la dynamique et ajuster les réponses. Toutefois, les femmes ne sont plus seulement considérées comme victimes ou actrices de la violence. Elles peuvent également être considérées comme des partenaires engagés dans la construction de la paix. Cette approche fournit une reconnaissance et une légitimité pour les actions des femmes à différents niveaux en faveur de la paix.

4. Femmes vecteurs de paix dans les communautés
Au Burkina Faso, les femmes représentent plus de la moitié de la population 52,67%.  En dépit de leur nombre, elles constituent la grande partie des victimes. Le potentiel des femmes dans la lutte contre l’extrémisme violent et la radicalisation devrait être exploité au maximum. C’est pourquoi, l’intégration des perspectives genres dans les politiques de sécurité au sahel est essentielle pour le développement, la résolution des conflits, la construction de la paix, la protection des droits ou encore l’accès à la justice. 

Les instruments internationaux ont d’ailleurs pris en compte la question de la place et du rôle des femmes dans la vie politique et sociale. Ils ont reconnu que les femmes occupent une place irremplaçable dans les efforts de renforcement de la cohésion sociale et les questions de développement local. Cela montre aussi que la participation des femmes à la vie politique et publique, est une condition nécessaire de la croissance économique et du progrès social.

Au Burkina, il est unanime que les femmes peuvent jouer un rôle important dans la prévention et le combat contre l’extrémisme violent au niveau des familles, des communautés et des organisations de la société civile. Il s’agit de la prévention à travers l’alerte précoce, la stratégie communautaire, la prise en compte du genre dans les mécanismes de sécurité et de réforme du secteur de la sécurité. Elles peuvent initier des actions de développement. La promotion du leadership féminin et le renforcement de leurs capacités en tant que leaders et en tant qu’actrices engagées dans le combat, en tant que mères mais aussi en tant que membres des communautés contre la radicalisation sont à privilégier. D’ailleurs, nous partageons le principe du programme des Nations Unies pour le développement «La paix est impossible sans les femmes ».