Déclenchée par la rébellion Touareg, la crise malienne de 2012 a été aggravée par les activités violentes d’une alliance temporaire de groupes séparatistes et extrémistes violents. L’alliance s’est cependant détériorée en raison d’intérêts divergents. En 2017, cependant, Ansar Dine, la branche ouest-africaine d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI), la Katiba Macina et les Mourabitoun ont formé une nouvelle coalition, connue sous le nom de Jama’at nusrat al-islam wal-muslimn (JNIM). Même si les membres de cette nouvelle coalition opèrent depuis longtemps au Mali, leurs activités violentes se sont intensifiées depuis la formation de cette alliance. Apparemment, la formation de JNIM est une réaction aux actions militaires des forces nationales, régionales et internationales, telles que l’opération Barkhane, la Mission multidimensionnelle intégrée des Nations Unies pour la Stabilisation au Mali (MINUSMA) et la volonté de ces forces d’étendre leurs activités au-delà des frontières du Mali.

Femmes et terrorisme
Mis sous la pression militaire des opérations conjointes des forces internationales et nationales, le JNIM semble revoir sa stratégie, et en dépit de sa propagande selon laquelle il n’utilise pas les femmes pour jouer des rôles de première ligne, les contributions apparemment «passives» que les femmes apportent au groupe ont facilité le programme stratégique du groupe et lui ont permis d’opérer avec un minimum de risques et de maintenir son influence dans ses champs d’action.

Ce document aborde deux questions principales. La première porte sur les différents rôles que jouent les femmes pour faciliter les activités des groupes extrémistes violents. La seconde explore les facteurs internes et externes (ou de «poussée» et de «traction») qui accentuent la propension des femmes à soutenir le programme des Groupes Extrémistes Violents (GEV).

Les stéréotypes sexistes décrivent les femmes comme intrinsèquement pacifiques (Aning, 1998). Ces stéréotypes ne tiennent pas compte des rôles changeants et diversifiés des femmes dans les situations de conflit. En tant qu’informatrices et groupes de pression, les femmes jouent des rôles cruciaux qui servent les intérêts stratégiques des GEV. Cette section décrit les multiples rôles que jouent les femmes pour faire progresser l’extrémisme violent au Mali.

Rôles d’informatrices et de groupes de pression
En règle générale, en raison des hypothèses stéréotypées qui décrivent les femmes comme faibles et passives, elles sont en fait en position très appropriée dans la société pour fournir des renseignements aux GEV. Il est très aisé pour les femmes de se rendre dans des endroits d’où elles peuvent fournir des informations précieuses aux GEV, sans être soupçonnées de se livrer à un acte criminel. Selon certains rapports, sans quitter leur domicile pour rejoindre les GEV dans leurs bases, certaines femmes apportent une contribution essentielle aux activités violentes des terroristes en collectant des informations précieuses sur la présence des forces de l’ordre internationales et les offensives planifiées contre les GEV.

Les femmes sont également utilisées pour faire pression sur le gouvernement et d’autres publics cibles. Habituellement, ces femmes participent à des manifestations qui promeuvent la cause des GEV. Kidal, par exemple, n’est accessible que par voie aérienne. Des femmes sont postées dans les aéroports pour manifester et parfois jeter des pierres sur les fonctionnaires, afin de propager les messages de propagande terroriste.

Logisticiens et motifs
L’implication des femmes dans les activités des GEV comporte de faibles risques pour elles. Ces femmes ne sont pas facilement suspectes et leurs activités criminelles ne sont pas aisément détectées. Certaines femmes sont donc impliquées dans des activités, telles que la pose d’engins explosifs dans les communautés. Habituellement, celles qui participent à cette activité seraient des femmes qui ramassent et cassent des pierres pour les vendre. Sous prétexte d’entreprendre leurs activités économiques, ces femmes sont employées à creuser des trous et à poser des bombes et des engins piégés (tactique de plus en plus utilisée par les GEV pour attaquer les forces nationales et internationales). Pire encore, certaines femmes ont été arrêtées en possession d’armes et de munitions. D’autres femmes confectionnent des armes légères et de petit calibre ou fournissent des matériaux utilisés pour fabriquer ces armes. En 2018, par exemple, une femme a été arrêtée par les services de renseignement maliens pour avoir fourni des engrais destinés à la production d’explosifs à la Katiba Macina, une GEV au Mali (Abatan, 2018).

Aussi, est-il important d’examiner les facteurs poussant les femmes à s’engager dans les activités de groupes extrémistes violents.

Liens familiaux
La plupart des femmes deviennent des facilitatrices et des sympathisantes des GEV en raison de leurs liens familiaux avec certains membres de ces groupes. Parfois, leurs frères, maris, enfants et autres parents proches et éloignés font partie de ces groupes. Il devient donc très difficile pour elles de ne pas collaborer ou de ne pas protéger les membres de la famille. Parfois, elles sont contraintes de collaborer avec ces groupes violents. Des fois, leurs proches parents - maris, fils et autres membres de leur communauté - sont kidnappés et on leur demande de jouer certains rôles afin que leurs proches soient libérés, comme d’entonner des chansons, ou faire des éloges et des slogans qui célèbrent les valeurs martiales, stigmatisent la faiblesse et encouragent les hommes à faire preuve de courage (Raineri, 2020). Dans d’autres cas, les GEV profitent de l’ignorance de certaines femmes des enseignements du Coran pour les endoctriner, leur inculquer de faux enseignements et les contraindre à soutenir leurs activités subversives. 

Bouée de sauvetage et survie
En raison du chaos et du ravage, causés par les activités extrémistes violents, les gens s’attachent à n’importe quelle opportunité de survie, certaines femmes étant obligées ainsi de collaborer avec les GEV, afin d’avoir accès aux services sociaux, fournis par certains de ces groupes aux communautés locales. Des rapports font également état de certaines femmes dont les offres de services à la sécurité d’État ont été rejetés et qui ont été forcées de rejoindre les GEV par frustration. D’autres femmes auraient également rejoint ces groupes armés dans l’espoir, en cas de survie et de démobilisation et de réintégration, de réaliser, souvent en vain, leurs rêves d’intégrer les services de sécurité de l’État.

Statut social
En raison de la nature patriarcale de la société malienne, les femmes sont considérées comme subordonnées aux hommes. En fonction de leur statut social, elles peuvent être forcées à jouer des rôles sans leur consentement. Certains clans traitent les femmes comme des esclaves qui ne jouissent d’aucun droit. Leur dignité est souvent bafouée et elles sont chargées d’effectuer des activités parfois dangereuses et ignobles. Les femmes sont parfois violées ou sexuellement exploitées au point que, souvent les hommes les considèrent comme citoyennes de seconde zone.

Ces perceptions envers les femmes sont adoptées par les GEV comme en témoignent leurs comportements à leur égard. Il est rapporté que de plus en plus de femmes et de filles sont maltraitées et ciblées sans discernement par les tirs des GEV.

Conclusion
Bien qu’elles ne jouent pas de rôles de première ligne en tant que combattantes, les femmes sont actives en tant qu’informatrices, logisticiennes et groupes de pression servant les objectifs stratégiques des GEV au Mali.

Cet article présente les différents rôles que jouent les femmes et les diverses raisons qui expliquent leur implication dans les activités de groupes extrémistes violents. Pour faire face à la menace croissante de l’implication féminine à l’extrémisme violent, le gouvernement du Mali a mis en place nombre d’initiatives politiques, dont la politique nationale de prévention et de lutte contre l’extrémisme violent, la politique de justice transitionnelle et le projet de loi sur les quotas de genre. Les efforts des différents comités de mise en œuvre de ces politiques nationales continuent de produire des résultats inégaux.

Il est nécessaire d’établir un partenariat solide entre le gouvernement, la société civile et les parties prenantes internationales, qui va au-delà de la simple rhétorique de ces politiques à la mise en œuvre rigoureuse de ces projets en vue de promouvoir la condition de la femme au Mali et lui éviter de rejoindre les GEV.