Le conflit armé en Colombie qui a duré environ soixante ans est l’un des conflits contemporains les plus longs au monde. Il s’est déclenché dans les années 1960 entre le gouvernement colombien et les Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et s’est poursuivi jusqu’à la signature de l’accord de paix en septembre 2016, après d’âpres négociations ayant duré environ quatre ans.

En dépit des violents incidents qualifiés de terroristes, d’énormes pertes en vies humaines et en biens, de l’insécurité et de la propagation de terreur parmi les citoyens, de nombreux analystes ne classaient pas ce conflit dans les listes du terrorisme, estimant qu’il ne faisait pas partie du terrorisme mondial, et ne recevait donc pas l’attention internationale qu’il méritait.

Cet article traite des racines de ce conflit, des actes terroristes contre les civils qui en ont résulté, de la réponse de l’État colombien et des plans stratégiques utilisés pour ramener la paix après la fin d’un conflit complexe qui a fait plus de 200 mille morts et des millions de déplacés.

Racines du conflit
Depuis le début du XXe siècle, des affrontements se sont produits en Colombie en raison de l’hostilité croissante entre conservateurs et libéraux, ayant atteint leur apogée en avril 1948, lorsque le chef populaire du Parti libéral, «Jorge Eliecir Gaitan», candidat du parti à la présidence, a été assassiné. Il était le plus populaire et le plus susceptible de gagner les élections, ce qui a conduit au déclenchement d’une émeute majeure sous le nom de «La Violence» dans laquelle environ 5000 personnes ont été tuées. S’en est suivi un long conflit qui a entraîné la mort de plus de 200 mille personnes et de grandes vagues de migration dues à l’insécurité et à l’agitation accrue.

Ces événements sont la raison interne de l’émergence du plus ancien groupe de guérilla du monde, les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC), qui s’est engagé dans une guérilla de référence marxiste-léniniste contre le Parti conservateur au pouvoir en Colombie. Selon certaines études, l’organisation contrôlait 15 à 20% du territoire de la Colombie, notamment les forêts, les jungles et les zones montagneuses au pied des Andes, d’où elle lançait de temps à autre des attaques de guérilla communiste, avant de s’engager dans le commerce de drogues, ayant abouti à la rupture avec le parti communiste.

Ces affrontements et hostilités ont conduit à l’émergence de plusieurs mouvements extrémistes actifs violents, en particulier l’aile droite des groupes paramilitaires encouragée par des secteurs des forces armées, de propriétaires terriens, d’hommes d’affaires, de politiciens et de gangs de la drogue. Ces actions ont accentué la violence des affrontements armés, les massacres et les violations des droits de l’homme, causant la mort d’environ 260.000 personnes, en plus de 45.000 personnes portées disparues et environ 7 millions de déplacés. En 1997, les États-Unis ont classé les FARC comme organisation terroriste. Cette classification a fait tache d’huile au niveau international dans le sillage du soutien au gouvernement colombien dans sa lutte contre les rebelles et contre le terrorisme et le trafic de drogue.

Accord de paix
En 2016, un accord de paix composé de six chapitres et 297 pages a été signé entre le gouvernement colombien et les FARC dans la capitale cubaine La Havane. 

Notre article analyse deux approches de rapprochement et de réconciliation sociale issues de la signature de cet accord cadre sensé mener à la paix.

L’accord de paix a créé un système intégré pour promouvoir la vérité et la justice et assurer la non-répétition des événements, connu sous l’abréviation (SIVJRNR). Le système comprend les instances suivantes: L’Autorité judiciaire spéciale pour la paix, la Commission pour la clarification de la vérité, la coexistence et la non-récidive, et l’Unité pour la recherche des personnes disparues en plein conflit armé, les réparations et les garanties de non-récidive. Ce système qualifie les actes terroristes commis par les FARC comme étant des actes terroristes survenus dans le contexte d’un conflit armé interne, rendant leurs peines moins sévères que celles qui se produisent dans un environnement pacifique.

Le pouvoir judiciaire spécial a été créé pour assurer la paix et juger les crimes commis pendant le conflit armé. Il a été convenu que les témoignages des militaires - même ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité – peut contribuer à mettre fin à des décennies de guerre et à fournir des réparations aux victimes, dans le cadre de la justice réparatrice.

Les analystes affirment que la Colombie est devenue une société brisée à la suite de ce conflit et que la façon de traiter les innombrables blessures sociales et culturelles commence par s’entendre sur un récit convaincant pour expliquer le passé, exposant le point de vue d’une grande partie de la population, et fournissant une partie raisonnable de ce récit au grand public, afin que la société puisse bénéficier des expériences passées, connaître les événements horribles vécus dont les conséquences affreuses menacent toujours sa sécurité et son existence, et considérer cela comme un moyen approprié pour vaincre la barbarie et le terrorisme à l’avenir.

Compte tenu de l’impossibilité de diviser la société en victimes et terroristes, la victime et le bourreau faisant souvent partie de la même famille où se partagent le train de vie quotidien, il a été convenu d’un modèle multilatéral de construction de la vérité, permettant à toutes les parties d’être entendues. Il se peut que ce qui distingue cette approche est d’écouter, de façon inconditionnelle, les expériences des victimes et de ressentir leur douleur et leur chagrin, quels que soient leur affiliation politique et le responsable de leur souffrance, ces témoignages étant diffusés en direct et sur YouTube, en plus de la publication des rapports initiaux et partiels à destination du grand public. Il s’agit en fait de reconnaître les souffrances du peuple, ressentir sa douleur et approfondir le sentiment de honte à l’égard des crimes terroristes.

À la différence des autres opérations post-guerre, cette initiative ne visait pas à établir des dossiers judiciaires, ni à prononcer des condamnations à la suite de procès historiques mais plutôt à comprendre ce qui s’était passé et d’accepter ce qui n’allait pas.

L’objectif était de connaissance avec précision la séquence des événements ayant conduit aux «Sept macro-cas» qui ont fait l’objet d’enquêtes par l’Autorité judiciaire spéciale pour la paix, et de fournir une description complète du contexte des crimes commis. Les informations recueillies et fournies par la Commission de la Vérité répondraient à nombre de questions importantes, telles que: Qu’est-ce qui a conduit à cette barbarie? Quelle est la position des auteurs de violences? Quelle est explication à donner aux familles des victimes?

Voici une illustration des cas, selon le nombre de victimes:
1. Enlèvement par les Forces armées révolutionnaires de Colombie.
2. Violence dans certaines petites villes.
3. Assassinats et disparitions forcées.
4. Conflit armé au nord de Cauca et au sud de la Valle del Cauca.
5. Massacres de membres du parti d’Union Nationale.
6. Recrutement d’enfants dans les guerres.

Commission Vérité
La Commission pour la clarification de la vérité, de la coexistence et de la non-récidive, connue sous le nom de Commission Vérité, a rendu son rapport final le 28 juin 2022. Il comprenait des informations recueillies après avoir interrogé plus de 1500 victimes du conflit vivant à l’intérieur et à l’extérieur du pays, dont les témoignages de Colombiens exilés dans 23 pays. 30000 personnes ont été entendues, des enquêtes approfondies ont été menées sur 730 cas et 1195 signalements d’actes de violence divers ont été effectués.

Des organisations de la société civile ont aidé à préparer ces entretiens dans les communes prioritaires parmi les plus affectées par le conflit armé, où les voix des différentes parties au conflit ont été entendues, y compris les forces armées colombiennes. Quatorze dialogues ont été organisés pour mettre fin aux conflits existants et éviter toute récidive. Ces dialogues comprenaient des entretiens avec trois anciens présidents colombiens.

Le rapport se compose de deux parties. La première partie présente les résultats les plus marquants et explique les raisons ayant conduit au déclenchement du conflit. La deuxième partie présente les recommandations du comité. Ce rapport, bien qu’il ne soit pas juridiquement contraignant, est sans doute moralement contraignant. Il vise à reconstruire et resserrer le tissu social du pays.

Le rapport a porté le nombre total de morts à près d’un demi-million de personnes et 100.000 disparus, dont 90% de civils innocents appartenant aux couches les plus pauvres, auxquelles s’ajoutent environ un million de personnes exilées pour des raisons de sécurité. Le rapport a également révélé l’utilisation d’armes non conventionnelles en temps de guerre, de bonbonnes de gaz pour bombarder des villages entiers et des opérations de pose de mines ayant fait de la Colombie le deuxième pays au monde après l’Afghanistan pour le nombre de mines.

Inconvénients du conflit
Ce conflit a mis en évidence les modèles sécuritaires ayant permis des profits importants provenant du trafic d’armes, et d’autres butins de guerre qui ont entravé le processus de paix et nui aux relations entre l’armée et le peuple, ce qui a nécessité une nouvelle doctrine militaire, stipulant la responsabilisation des militaires et des agents de sécurité devant les civils, l’extension du pouvoir de l’État.

Le conflit a également conduit à l’exacerbation du système des «privilèges», qui discrimine les gens selon la classe, l’ethnie, la culture et le sexe, et accorde des privilèges à certaines gens et non à d’autres, ce qui a créé un sentiment d’exclusion et de violation des droits fondamentaux parmi les opprimés.

La guerre terroriste en Colombie a engendré un réseau complexe d’intérêts où se croisent de nombreux acteurs, faisant de la distinction entre «bons» et méchants une affaire ardue. La terreur a été recyclée maintes fois au cours de soixante ans pour régner en tant que seul moyen d’affirmer son existence et d’être légitime, ce qui a conduit à l’échec des efforts politiques et diplomatiques pour instaurer la paix au cours de ces longues années.

Conclusion
Exprimer le sentiment de honte en tant qu’émotion collective envers les horreurs commises dans ce conflit constitue une grande contribution à la mise en œuvre de la stratégie de construction de la paix et d’éradication du terrorisme, non seulement pour ceux qui ont souffert du conflit armé, mais aussi pour toute une société assiégée de discours chaotiques dont les effets sont toujours visibles, tout autant que pour résister à la violence qui menace la cohésion sociale et les efforts de paix, notamment avec la poursuite des activités armées d’un groupe de dissidents qui n’ont pas accepté l’accord de paix et qui ont été répertoriés par le Département d’État américain le 30 novembre 2021 en tant qu’«organisation terroriste». Il n’est pas exclu que des inculpations soient prononcées à l’avenir contre d’anciens dirigeants des FARC et d’éléments impliqués dans le trafic de drogue ou dans des crimes contre l’humanité.