La plupart des pays européens ont vécu des expériences amères face au dilemme des rapatriés des zones de conflit, de Tchétchénie, Afghanistan, Daech, Al-Qaïda, ou de la première crise russo-ukrainienne en 2014. Le sort des rapatriés a semé la confusion et la discorde politique, sécuritaire et populaire. Après avoir acquis des compétences de combat et établi un vaste réseau de relations, la plupart d'entre eux étaient portés à la violence et certains ont même commis des crimes terroristes qui ont ébranlé la société européenne et le monde dans son ensemble.


Polémique renouvelée

Avec le déclenchement de l'actuelle guerre russo-ukrainienne en février 2022, le débat s'est renouvelé concernant le sort des rapatriés et ses effets sur la sécurité du continent européen, notamment avec les efforts des deux parties au conflit pour attirer le plus grand nombre de combattants étrangers et l'annonce par Kiev de la formation d'un corps international à cet effet. Les rapports estiment qu'environ 17000 combattants étrangers ont rejoint les deux camps du conflit, ce qui nécessite de sonner l'alarme et de dresser des plans pour faire face à ces combattants après leur retour.

En octobre 2020, l'Institut d'Analyse des Politiques de Vilnius s'est occupé de cette question et a publié un ouvrage de la chercheuse Eagle Morauskati, spécialisée dans les crises politiques et leurs effets sur la sécurité du continent européen. Le livre a porté sur l'expérience européenne face aux rapatriés de la première guerre russo-ukrainienne et focalisé sur les types de combattants, les dangers de leur retour et le comportement des pays européens face à ce danger. Afin de tirer parti de cette expérience et éviter les risques futurs, nous présentons les résultats les plus importants de cette recherche.


​Types de combattants
Les combattants ont été classés en quatre catégories comme suit:

  1. Les combattants aux griefs historiques: C'est-à-dire ceux qui ont des rancunes contre la Russie et cherchent à se venger des défaites infligées à leur peuple, tels les combattants tchétchènes qui ont relancé la brigade "Cheikh Mansour" ayant combattu la Russie en Tchétchénie et dont les combattants dispersés dans toute l'Europe se sont réunis à nouveau en Ukraine pour combattre les Russes. D'autres Tchétchènes ont rejoint la brigade Aidar relevant du ministère ukrainien de la Défense. Par ailleurs, la Moldavie était la plus grande source de combattants étrangers vétérans pro-russes en raison de la prédominance du sentiment anti-ukrainien dû au soutien de Kiev à la sécession et l'indépendance de la région de Transnistrie en 1990 et son intervention militaire avec des volontaires et des forces cosaques dans cette guerre. Certains Ukrainiens antirusses de la diaspora européenne et américaine ont choisi de retourner sur leur terre ancestrale pour combattre les Russes.
  2. Les frustrés (frustration intellectuelle et doctrinale): Les combattants aux tendances de droite ont tendance à se battre du côté de l'Ukraine, tandis que ceux de gauche et anti-occidentaux penchent du côté russe. L'Ukraine a été rejointe par les combattants de Lituanie, pays Baltes et Pologne pour arrêter l'expansion russe, alors que les combattants de Suède, France, Italie, Allemagne et Autriche sont allés combattre la Russie pour défendre la "survie de la race blanche". Quant aux combattants idéologiques dans les rangs russes, ils voient la guerre contre l'Ukraine nécessaire pour arrêter l'expansion de l'OTAN et de l'Occident dans la sphère d'influence naturelle de la Russie en Europe de l'Est. Les combattants français ont rejoint les rangs des forces russes par sympathie ancienne avec le communisme face à la mondialisation libérale anglo-saxonne et à l'Occident en décomposition.
  3. Les opposants: La plupart des combattants de l'opposition armée ont combattu dans les rangs de l'Ukraine pour renverser le régime du président russe Vladimir Poutine. La plupart d'entre eux ont fui leur pays en raison de leur opposition aux régimes pro-Moscou, ou pour se venger de la persécution subie pour leurs opinions et positions politiques. D'autres pensent qu'il n'y a pas d'autre moyen de parvenir à la démocratie dans leur pays que par la lutte armée à l'étranger.
  4. Les combattants pour le plaisir: Cette catégorie comprend les étrangers ayant une grande expérience des combats, qui maîtrisent la transition d'un conflit à l'autre, et les aventuriers civils passionnés de guerre.

Craintes et leçons
Les préoccupations les plus importantes concernant les rapatriés de la guerre d'Ukraine peuvent être mentionnées comme suit:
  • Opter pour les méthodes des groupes extrémistes: L'éventualité est faible. La guerre en Ukraine est une guérilla ou une guerre hybride. Elle n'a pas connu d'opérations suicides. Quoique certains combattants étrangers aient été arrêtés à leur retour d'Ukraine, il est certain qu'aucune organisation ukrainienne n'est classée nationalement ou internationalement comme extrémiste. Plus important encore, la plupart des combattants étrangers en Ukraine se sont radicalisés avant de rejoindre le combat pour diverses raisons, et sont souvent sous la supervision des forces de l'ordre de leur pays.
  • Symboles de recrutement: La deuxième source de peur est liée à la possibilité que les combattants deviennent des symboles et modèles à imiter, ce qui est possible dans le cas ukrainien, vu le grand impact des médias sociaux sur le recrutement de nombre d'entre eux.
  • Relations pendant les combats: Le type de relations nées pendant les combats en Ukraine est un risque à surveiller. La tentative de coup d'État au Monténégro en 2016 a révélé ce danger. Le plan d'assassinat du Premier Ministre au jour des élections comprenait des éléments d'extrême droite ayant combattu en Ukraine et deux membres des services secrets russes. Par conséquent, les rapatriés intellectuellement frustrés sont les plus dangereux de tous, car ils sont plus enclins à la violence et la formation de réseaux pouvant déboucher sur des plans hostiles aux gouvernements ou aux minorités. Les combattants pro-russes peuvent être plus dangereux s'ils sont recrutés dans d'autres conflits par des sociétés spécialisées, comme la société Wagner impliquée dans des conflits en Russie, Libye et Afrique.

Expériences précédentes
La plupart des Etats européens ont adopté une approche punitive dans leurs relations avec les rapatriés d'Ukraine, qui ont écopé de réprimandes, amendes et peines d'emprisonnement. La première affaire judiciaire en Grande-Bretagne a été celle de Ben Stimson accusé d'avoir participé à des actes terroristes aux côtés de la Russie et condamné à cinq ans de prison. Certaines interrogations ont abordé la discrimination de traitement entre les pro-russes et les pro-ukrainiens, et les autorités britanniques ont répondu qu'elles étudiaient chaque cas séparément en fonction de l'implication des personnes dans des actes criminels et les preuves disponibles qui les confirment.

En République Tchèque, certains rapatriés accusés de terrorisme et de participation aux combats du côté russe en Ukraine ont été condamnés à des peines de prison allant de 5 à 20 ans. Quant à l'Espagne, ses autorités ont poursuivi, en 2015, huit combattants dans les rangs des forces russes, pour possession d'armes et d'explosifs, participation à des meurtres et atteinte à la sûreté de l'État. Cependant, ces accusations ont été abandonnées en raison du manque de preuves concluantes.

En 2015, l'Italie a adopté la loi antiterroriste qui condamne de 3 à 10 ans de prison les personnes accusées de combattre à l'étranger. 20 Italiens pour la plupart des néo-nazis ont été arrêtés pour avoir recruté des combattants dans le conflit en Ukraine depuis la promulgation de la loi jusqu'à 2018, tandis que 25 autres ont fait l'objet d'une enquête. A noter que l'application des sanctions en Italie a été sélective.

Quant à la Biélorussie, elle a poursuivi tous les rapatriés d'Ukraine, qu'ils soient combattants ou non-combattants et les a considérés comme des "mercenaires", du fait qu'ils étaient des "opposants" au régime en place. Mi-2019, les autorités serbes ont poursuivi environ 45 combattants du côté russe. La plupart d'entre eux ont été condamnés à six mois d'emprisonnement en vertu du Code pénal. La plupart des charges réduites, abandonnées ou suspendues ensuite apparaissaient comme une "réprimande" en raison de la crise diplomatique entre la Serbie et l'Ukraine.

La Pologne a nié la participation de ses citoyens au conflit et a poursuivi ceux qui sont revenus. La Slovaquie a nié que ses citoyens faisaient partie des combattants étrangers et s'est opposée aux tentatives de rejoindre l'une ou l'autre des parties. Quant aux États Baltes, ils ont usé de moyens juridiques différents pour traiter avec les rapatriés. L'Estonie a expulsé certains de ses citoyens russes vers l'Ukraine pour y être jugés pour terrorisme, et la Lettonie a poursuivi des combattants pro-russes de retour pour des charges moins graves.

Il est à noter que les relations judiciaires occidentales avec les rapatriés d'Ukraine témoignent d'hésitation et d'incompatibilité, contrairement aux relations décisives avec les combattants de retour de Syrie et d'Irak souvent jugés avec fermeté pour des accusations de terrorisme. De même, la plupart de ceux traduits en justice se battaient du côté russe. Quant aux partisans du côté ukrainien, la plupart des brigades dans les rangs desquelles ils ont combattu relevaient du ministère de la Défense et avaient un statut officiel ou semi-officiel, ce qui a rendu la poursuite de ces personnes plus compliquée.

Le sort des rapatriés
Les observateurs sont souvent préoccupés par les expériences de combat de ceux qui reviennent des champs de conflit et non par leur sort après leur retour. Il est difficile de connaître leurs chemins après leur retour. Les rapatriés apparaissent rarement en public, préférant garder leurs expériences privées. Cependant, il existe des parcours empruntés par les rapatriés, comme suit:

  • Marginalisation: Il s'agit d'une situation récurrente confirmée par les témoignages de rapatriés, qu'ils soient du côté russe ou ukrainien. Ainsi, un combattant australien a confirmé que les autorités locales et les militants communautaires les considèrent comme une menace pour la société. Le rapprochement du gouvernement géorgien avec Moscou a conduit à la poursuite des combattants qui ont combattu avec l'Ukraine, incitant nombre d'entre eux à émigrer vers l'Ukraine ou d'autres régions d'Europe.
  • Acquisition de compétences de violence: Certains jeunes ont rejoint les combats en Ukraine pour acquérir les compétences de pratiquer la violence. La Suède a enregistré deux combattants appartenant au Mouvement de résistance nordique du Nord, connu pour leurs tendances néo-nazies, et leur féroce hostilité envers les immigrés. Après leur retour, ils ont fait sauter un refuge pour immigrés en 2017. Un suprémaciste blanc américain s'est rendu en Europe pour célébrer l'anniversaire d'Hitler, a rencontré des membres du bataillon ukrainien Azov, puis est retourné aux États-Unis pour attaquer des manifestants antiracistes à Charlottesville.
  • Intimidation des opposants: Certains rapatriés pro-russes ont été chargés d'intimider les opposants au régime de Moscou, tel le combattant slovaque pro-russe revenu dans son pays en 2016 pour menacer de violence les journalistes locaux s'ils continuaient à critiquer Moscou pour sa guerre en Ukraine.
  • Soutien social: Certains combattants lituaniens ont déclaré que leur décision de rejoindre la partie ukrainienne leur a apporté un soutien social et contribué à améliorer leur situation sociale et économique. Quant aux combattants serbes pro-russes, ils n'ont pas été poursuivis, ni marginalisés, ni soumis à la critique sociale.
  • Création de fédérations et d'associations: Certains combattants ont opté pour créer des fédérations ou des associations, basées sur l'idée de "volontariat et fraternité dans les armes". Parmi ces fédérations figurent «l'Union des volontaires du Donbass», «Les combattants étrangers du Donbass» en Suède et la «Coordination des soldats du Donbass» en Italie.

En conclusion:
 Les conséquences du conflit dans la première crise ukraino-russe ont jeté une ombre lourde sur l'Ukraine, qui a connu la domination de l'extrême droite nationaliste. Il a été noté que bon nombre d'individus actifs dans ces mouvements ont déjà combattu dans les bataillons d'Azov, Aydar, Pravyi et d'autres groupements tactiques. Il n'est pas exagéré de dire que cette situation risque de faire naître les germes de mouvements susceptibles de prendre d'assaut la vie politique en Europe.​