​​Beaucoup d’études soulignent que la décennie (1991-2002) a été témoin de l’infiltration et de la propagation des mouvements extrémistes dans les Etats africains du Sahel, dirigés par le Groupe du Jihad, qui s’est rapidement développé pour engendrer d’autres mouvements aux multiples dénominations selon leurs emplacements ou leurs dirigeants. En raison de leurs diverses fonctions et environnements géopolitiques dans lesquels ils opèrent, on assiste à des conflits entre ces mouvements, qui se sont développés ensuite en conflits entre les ailes d’un même mouvement.

Implantation au Sahel africain
Les pays du Sahel africain étaient la meilleure destination pour les combattants revenant des zones de conflit, en particulier de l’Afghanistan, et un terrain idéal pour se réorganiser, surtout qu’ils étaient hostiles à l’Occident et bien entraînés pour combattre les armées et les États, et ce pour diverses raisons, dont les plus importantes sont:
  1. Faiblesse et fragilité des régimes dans les pays du Sahel.
  2. Environnement religieux traditionnel non encadré politiquement.
  3. Conflits ethniques et locaux dans la région.
  4. Vaste espace désertique difficile d’accès.
  5. Facilité à nouer des alliances tribales lorsqu’on a des ressources financières.
  6. Facilité de recruter les jeunes chômeurs.
  7. Prévalence de la corruption permettant d’avoir des informations et d’infiltrer les institutions sécuritaires des États.
Au début du deuxième millénaire, les communautés sahéliennes et ouest-africaines vivaient dans un état de récession résultant de l’épuisement qui a suivi l’affrontement violent des années 1990, et les dirigeants de tous bords traqués s’efforçaient de rassembler leurs rangs et de nouer en vain une alliance mondiale.

Les causes de l’émergence des organisations terroristes différaient selon les pays du Sahel, car les objectifs de la confrontation dans chaque pays étaient variés, et les conflits civils dans la région reposaient sur des fondements nationaux et locaux profonds. Au début du deuxième millénaire, l’hébergement des dirigeants des mouvements terroristes était la carte maîtresse de l’internationalisation de ces conflits et du renouvellement de leurs plans.

Les organisations terroristes profitaient du chaos résultant des conflits entre les mouvements rebelles et avec les États pour leur proposer soutien, formation et transfert d’expertise de combat en échange de l’hébergement et de l’alliance. Ainsi, les groupes extrémistes se sont imposés au cœur des négociations nationales et dicté leurs choix, comme ce fut le cas du groupe «Ansar al-Din» qui a polarisé des dirigeants locaux influents et les a introduits au sein des entités extrémistes visant à profiter des conflits locaux et à mettre les nouvelles alliances sous son ombrelle.

Aussi de même avec le «Mouvement populaire pour la libération de l’Azawad» qui se transforma d’un mouvement nationaliste laïc en groupe «Nosrat al-Islam wal-Muslimeen» affilié à al-Qaïda sous la houlette du même leader Iyad Ag Ghali. Le Front de Libération Masina devint aussi un bataillon affilié au groupe «Ansar al-Islam wal-Muslimeen» sous la direction d’Amadou Koufa.

Le commandant Iyad Ag Ghali tenait à justifier ce virage et à se présenter comme un moudjahid, mais le commandant Koufa a conservé la dimension nationale du mouvement Massina. Malgré les divergences entre les deux dirigeants, les mouvements extrémistes s’infiltrent dans les entités rebelles, et se restructurent pour tirer leur énergie du discours religieux, comme tous les autres mouvements terroristes. Ce plan a beaucoup impacté les tentatives d’alliance entre ces groupes et a attisé les conflits entre eux.

Lutte des ailes
Les conditions difficiles vécues par la population locale les poussent à accepter tout nouveau discours qui répond à leurs préoccupations et à leurs souffrances, en particulier lorsqu’il leur promet une large part de liberté, de stabilité et de justice. Ainsi, on constate que les mouvements politiques nés de l’exclusion dans les pays sahéliens en rébellion contre les régimes sont les premiers à se manifester, notamment au Mali, Niger et Tchad, et que les mouvements séparatistes sont restés en conflit permanent avec les États. Quoique le pouvoir ait pu, dans la plupart des cas, confiner les mouvements rebelles dans les zones périphériques accidentées, il n’a pas été en mesure de les éliminer, et le duel entre les deux parties est resté intermittent jusqu’à l’apparition d’Al-Qaïda dans la région.

Le groupe armé «Al-Mourabitoun» a été le premier à adopter l’idéologie d’Al-Qaïda. Il a été créé en 2013 par la fusion de deux factions islamiques armées parmi les plus actives dans le nord du Mali et le Sahara: «Les Masqués» dirigés par l’Algérien Mokhtar Abou Al-Abbaset et le «Groupe Tawhid et Jihad en Afrique de l’Ouest», dirigé par Ahmed Ould Al-Amer, tué en 2014 et remplacé par Abu Al-Walid Al-Sahraoui. Puis les branches de l’organisation ont proliféré avec des affluents claniques et des groupements issus de la résistance, tel le mouvement Massina. Le groupe Al-Mourabitoun, qui était le premier noyau de l’organisation Al-Qaïda dans la région du Sahara au nord du Mali et de la Mauritanie, a fait germer le premier noyau de Daech.

Les défections d’Al-Qaïda se sont succédé, notamment dans le sud algérien, qui partage la géographie et la population avec le Mali, au profit de Daech, qui prit de l’ampleur notamment dans la région du Sahel, ce qui a rendu l’affrontement inévitable entre les deux organisations.

Causes du conflit
De nombreuses explications sont à l’origine de l’escalade des confrontations entre Al-Qaïda et Daech, dont:

1) Ambition de leadership
Certains dirigeants d’al-Qaïda ont déjà été alertés de la force de l’EI et de l’incapacité d’al-Qaïda à obtenir des résultats comparables sur le terrain, ce qui a encouragé certains dirigeants d’al-Qaïda à prêter allégeance à Daech, comme Abou al-Walid al-Sahraoui, qui voulait en vain se faire une place dans la nouvelle organisation et qui s’est mis à recruter des dirigeants dans l’organisation al-Qaïda pour soutenir sa position dans la nouvelle organisation, moment propice d’un affrontement, vue le conflit d’intérêts.

2) Projets différents 
Après les défaites retentissantes de l’EI en Irak et en Syrie, il a cherché à déménager en Afrique pour rétablir son projet, compte tenu de la fragilité générale qui caractérise la plupart des pays du continent noir, en particulier la région du Sahel africain. L’EI a décidé d’établir des zones de communication entre les régions sahéliennes et sahariennes et l’Afrique de l’Ouest, en y implantant des organisations sous sa houlette comme Boko Haram au Nigéria, ce qui explique les opérations menées par l’organisation dans la région du bassin du lac Tchad.

Cependant, al-Qaïda voit dans les efforts de Daech, qui veut s’étendre dans la région du Sahel et recruter certains de ses éléments fidèles, comme une menace pour son existence, ouvrant la voie à un affrontement entre les deux groupes. 

3) Concurrence pour le financement
Toute organisation doit disposer des ressources pour financer ses opérations, or les ressources de la région sont très limitées, à part les rançons reçues en échange des otages kidnappés, ou les profits de contrebande de biens prohibés. La pénurie des ressources ont donc ravivé la rivalité et aiguisé les conflits entre les deux parties.

4)  Conflit ethnique
Il y a d’autres motifs qui contribuent à alimenter le conflit entre les organisations, comme les préjugés et le fanatisme ethnique. Les communautés de la région du Sahel sont composées de plusieurs races qui se rangent souvent du côté de leur propre ethnie, comme c’est le cas avec le front Masina, composé essentiellement de l’ethnie peule.

5)  Déficit public
La plupart des pays du Sahel africain souffrent de l’éducation médiocre, du manque de services, et de la pénurie des opportunités d’emploi, alors que les gouvernements peinent à imposer leur autorité en dehors des grandes villes, à quelques exceptions près. Cette situation a permis la propagation des délits de trafic d’êtres humains, de drogue et d’armes. Les groupes armés ont profité de ces défaillances pour forger des alliances avec les groupes locaux, comme survenu au nord du Mali, lorsque le conflit a fait rage entre al-Qaïda et Daech pour remporter des victoires sur le terrain et contrôler autant que possible des ressources de soutien.