L'un des phénomènes dangereux et complexes auxquels sont confrontés les services de sécurité dans le monde arabe est le phénomène des combattants arabes dans les pays étrangers, et leur retour chez eux. Il s'agit d'un problème de sécurité qui évolue rapidement d'une manière qui menace la sécurité et la stabilité des pays arabes, pour ses effets potentiels pouvant alimenter les conflits armés et reproduire le phénomène terroriste.

Les services de sécurité et les décideurs s'attèlent à l'élaboration de politiques et de plans de sécurité pour faire face à ces risques. Les centres de recherche s'activent aussi à étudier la nature du phénomène, ses causes, ses effets et les options pour y faire face. Notre article étudie cette question et fournit des recommandations sur la manière de traiter le phénomène et ses développements après la guerre russo-ukrainienne.


Polarisation des combattants
Un mois après le déclenchement de la guerre entre la Russie et l'Ukraine, les deux pays ont dû opter pour la recherche d'aide auprès de combattants étrangers du Moyen-Orient et des pays voisins. Les deux parties ont redoublé d'ardeur pour convaincre le plus grand nombre de groupes armés et de mercenaires de participer à la guerre. Les rapports internationaux confirment l'augmentation des invitations et des annonces dans les ambassades ukrainiennes à l'étranger, en particulier dans les pays d'Afrique du Nord et d'autres pays africains, appelant les volontaires à rejoindre les combats.

Un état de confusion règne sur le nombre des combattants étrangers embrigadés par les deux parties. La Russie a annoncé la création d'un bataillon qui comprend des combattants étrangers du Moyen-Orient et le Président russe Vladimir Poutine a ordonné, lors d'une réunion du Conseil de Sécurité russe le 11 mars 2022, de mobiliser ceux qui souhaitent soutenir les séparatistes dans l'Est de l'Ukraine. Les rapports de renseignement indiquent que Moscou a envoyé près d'un millier de mercenaires en Ukraine et en a enrôlé d'autres pour participer à la guerre. Le ministre russe de la Défense Sergei Shoigu a déclaré que si l'Occident était enthousiaste à l'idée de soutenir Kiev dans le recrutement de mercenaires, Moscou dispose de 16 000 volontaires au Moyen-Orient et en Afrique prêts à participer aux batailles. Il a été rapporté que la compagnie Wagner a envoyé des milliers de mercenaires de Syrie et d'Afrique Centrale.

Le Président ukrainien Volodymyr Zelensky a annoncé la formation d'un bataillon international de volontaires de l'étranger, qui comprend près de 20.000 recrues bien entraînées pour contrer les opérations spéciales des mercenaires russes. Selon les rapports des services de renseignement russes, l'Ukraine a recruté des membres de l'EI et les a préparés à combattre dans la base syrienne «Al-Tanf» contrôlée par les États-Unis pour les envoyer combattre dans les rangs des forces ukrainiennes. Le journal nigérian The Guardian a rapporté que 115 Nigérians et 36 Sénégalais avaient rejoint le combat contre les forces russes.


​Nature des combattants

Des rapports de surveillance internationaux indiquent l'implication de combattants de Tchétchénie aux côtés de la Russie et de l'Ukraine, ainsi que des combattants de pays européens, arabes et africains. Moscou s'appuie fortement sur la société Wagner présente dans les zones de conflit du monde pour embrigader des mercenaires et des volontaires étrangers. Ainsi, la société a des bureaux dans 23 pays africains. Près de 2000 éléments de Wagner se trouvent en Centrafrique depuis 2018, tandis qu'environ 8000 autres sont déployés au Mali dans les régions de Sikasso et Mopti, ainsi qu'au Nigeria, Mozambique et Burkina Faso.

Les rapports confirment que Wagner a transféré plus de 4000 mercenaires du Centrafrique en janvier dernier pour mener à bien des missions d'assassinat de dirigeants ukrainiens, avec en tête le président ukrainien Zelinsky, en prélude à la prise de contrôle de Kiev.

Il est remarquable que les deux parties tiennent à attirer des mercenaires de différentes nationalités. La partie russe a profité de sa présence en Syrie, en Libye et dans d'autres pays africains, pour inciter les combattants de ces régions à rejoindre les champs de bataille en Ukraine. Les médias sociaux sont l'un des outils importants pour attirer des mercenaires, et des organisations terroristes telles qu'Al-Qaïda et l'EI se sont appuyées sur ces moyens pour attirer et enrôler des militants. Les sociétés de sécurité utilisent des sites internet pour cela. Le site d'embauche «Silentprofessionals» a publié une annonce demandant à d'anciens soldats parlant plusieurs langues de se rendre secrètement en Ukraine, en échange de récompenses financières substantielles.

Certains chercheurs classent les combattants étrangers des forces russes en Ukraine, selon leurs nationalités, leurs orientations politiques et leur expérience militaire antérieure. La plupart d'entre-eux détiennent une double nationalité, celles des pays occidentaux et leur nationalité ukrainienne d'origine. Ce groupe de civils sans grande expérience militaire et qui regroupe environ 66 000 personnes a des motivations familiales et historiques, d'indépendance nationale et de souveraineté de l'Ukraine face au géant Russe.


Description du phénomène
Les circonstances dans lesquelles s'est développé le phénomène des combattants étrangers, sont de la sorte:

  1. Les guerres hybrides et la croissance du phénomène des combattants étrangers: Le phénomène des combattants étrangers est en rapport avec le type de guerre moderne, dite guerre hybride opposant des armées régulières et irrégulières. Ces guerres ont contribué à la reproduction du phénomène terroriste, le phénomène des mercenaires et l'intervention active des compagnies militaires privées dans ces guerres.
  2. Implication de diverses parties internationales dans la guerre russo-ukrainienne: Il ne s'agit pas d'une guerre entre seulement deux pays, la Russie et l'Ukraine, mais le phénomène est plus général et ne peut être étudié en dehors de son contexte. La guerre russo-ukrainienne est le résultat de la rivalité internationale croissante entre la Russie et ses alliés et entre les États-Unis et les pays européens qui soutiennent fortement la position ukrainienne. Bien que les pays européens et les États-Unis aient rejeté une intervention militaire directe face à la Russie, ils ont dénoncé la guerre, fourni de l'aide militaire à l'Ukraine et soutenu en cachette le recrutement par le gouvernement ukrainien de mercenaires et de combattants étrangers, face à la mobilisation russe et au recrutement de combattants étrangers également.
  3. Recours aux outils militaires irréguliers: Les parties concurrentes et belligérantes s'appuient sur divers outils militaires, notamment des sociétés militaires privées, des mercenaires, des volontaires et des organisations fondamentalistes et extrémistes. Les parties belligérantes tentent d'engager le plus grand nombre de membres de gangs et de volontaires, qui se battent pour des profits matériels. Les experts soulignent les différents motifs de ces organisations pour s'engager dans cette guerre. Le groupe terroriste Daech impliqué en Syrie combat aux côtés des Ukrainiens en guise de représailles aux attaques russes qui l'ont épuisé en Syrie. Les factions armées en Tchétchénie ont également rejoint le bataillon ukrainien en représailles contre Moscou.
  4. Recours aux combattants étrangers: La guerre conventionnelle est devenue coûteuse pour toutes les parties, de sorte que les parties belligérantes s'efforcent de réduire les coûts économiques et humains en recourant aux mercenaires et aux entreprises privées. À l'instar de la Russie, les gouvernements occidentaux s'enthousiasment pour l'afflux de combattants étrangers aux côtés des forces ukrainiennes, afin d'éviter l'affrontement direct et le coût élevé de cette guerre en cas de son expansion et pour montrer leur soutien à l'Ukraine.​

Menaces potentielles

Les observateurs mettent en garde contre le danger des combattants rapatriés d'Ukraine pour la sécurité régionale et internationale. Après la crise des rapatriés des zones de conflit en Afghanistan, Irak et Syrie, une nouvelle vague de rapatriés d'Ukraine débute. Il s'agit d'une menace directe et indirecte à la sécurité arabe, comme suit:

  • La menace directe est évidente avec le retour des combattants et des mercenaires dans les pays arabes et dans les zones de conflit armé, telles que la Libye et la Syrie, car ils reviennent avec une grande expérience du combat, des armes avancées et des butins de guerre, ce qui contribue à alimenter les conflits, menacer la stabilité sécuritaire des pays arabes et reproduire le phénomène terroriste, et ce en exploitant leur présence sur le terrain pour engager de nouveaux mercenaires dans les rangs des groupes terroristes.
  • La menace indirecte se manifeste par le retour de ces combattants non pas aux zones de conflit armé de la région arabe, mais dans les régions voisines, notamment la région du Sahel africain ou la Corne d'Afrique. Ainsi leur retour dans la Corne d'Afrique est une menace pour la sécurité de la Mer Rouge, une reproduction du phénomène terroriste dans la région et un renforcement des mouvements terroristes comme les Shebabs ou Daech en Afrique de l'Est. Les risques empirent si ces combattants s'installent au Yémen, ce qui envenime encore plus le conflit.

Options arabes​
La crise des rapatriés après leur implication dans des conflits armés extérieurs demeure un problème majeur qui menace la sécurité et la stabilité régionales. Après chaque guerre ou conflit armé, les services de sécurité se retrouvent face à une nouvelle crise qui les oblige à réévaluer ses risques potentiels, puis à étudier les options de négociation et de confrontation. Dans ce contexte, les expériences antérieures fournissent des enseignements pour faire face à ce phénomène. Certains pays ont été en mesure d'établir un cadre juridique pour ces personnes et de formuler des programmes pour les réintégrer dans la société après leur réhabilitation. D'autres pays n'ont pas réussi à les contenir et les protéger de la stigmatisation sociale, ce qui les a incités à rejoindre d'autres organisations terroristes et devenir plus féroces.

Nous proposons de ne pas compter sur le seul traitement sécuritaire pour affronter le phénomène, mais de s'appuyer sur une politique globale dotée d'un plan stratégique selon les modalités suivantes:

  1. Action diplomatique et judiciaire internationale: C'est-à-dire que les pays arabes s'activent au niveau diplomatique au sein des Nations Unies et des organisations régionales et internationales pour criminaliser l'utilisation de mercenaires et de combattants étrangers dans les guerres, signifier que les pays parrains de ce phénomène ne sont pas à l'abri de leurs dangers et que le recours aux mercenaires est un crime de guerre qui nécessite l'application de sanctions dissuasives contre les pays parrains.
  2. Coordination de la sécurité aux niveaux arabe et régional: Il y a un besoin de coordination en matière de sécurité, non seulement entre les pays arabes, mais aussi avec les pays voisins, pour assurer le contrôle des zones frontalières de manière à empêcher les rapatriés d'Ukraine et des zones de conflit armé d'infiltrer les frontières et d'exploiter les différences politiques entre les pays de la région.
  3. Confrontation interne: Les pays arabes doivent accroître leurs efforts médiatiques pour faire sensibiliser au phénomène des combattants étrangers et des parties extérieures qui les soutiennent, tout en œuvrant pour promouvoir la situation économique des groupes marginalisés, développer des solutions au phénomène des réfugiés et aux conflits armés dans le monde arabe. Les universitaires, les prédicateurs, les cheikhs et les spécialistes de la charia devraient fortement contribuer à la confrontation médiatique contre ce phénomène.
Recommandation finale
Cet article recommande la nécessité de renforcer la coopération arabe dans la lutte contre le phénomène des rapatriés des conflits armés et de développer des solutions, des politiques et des plans stratégiques durables pour faire face à ce phénomène susceptible de se reproduire à l'avenir à cause de la nature des guerres modernes et hybrides. Il recommande également la nécessité de développer des départements ou des agences de lutte contre le terrorisme, rattachés à diverses initiatives et agences de sécurité arabes et régionales, à condition qu'ils comprennent des spécialistes et des experts de toutes les spécialités militaires, sécuritaires, politiques, religieuses et culturelles, capables de faire des recommandations et développer des solutions aux décideurs afin de prendre des mesures globales et efficaces face au phénomène des rapatriés des zones de conflit armé.