Les études et analyses d’experts s’intéressent à déterminer le niveau de coopération et les relations entre les groupes terroristes. Or ces relations sont caractérisées par les conflits qui les ponctuent et occultent toute sorte d’éventuelle solidarité. Les résultats de ces conflits vont au-delà des groupes, des dirigeants et des individus, pour inclure les civils innocents.

Selon l’étude de Brian G. Phillip publiée en 2015, qui porte sur les rivalités et les conflits entre les groupes terroristes de 1987 à 2005, des conflits violents opposent la plupart de ces groupes pour des raisons qui vont au-delà de l’antagonisme entre leurs objectifs et ethnies. De même, Luke Walter, de l’université de Leiden, dans son étude sur la coopération et la rivalité entre les organisations terroristes, a montré que (les surenchères) sont la cause majeure des rivalités et des conflits entre ces organisations qui pratiquent la violence à son niveau le plus élevé, menant des attaques les plus extrémistes qui soient et portant la violence à son comble, en tant que moyen bivalent pour affronter à la fois les organisations concurrentes et les États et sociétés.

Au milieu de ces (surenchères) d’actes terroristes, le pic de (dévouement) au terrorisme réside dans la mise en œuvre d’attentats suicides, et dès que l’une des organisations commet un attentat suicide, les autres groupes en font de même par singerie et rivalité.

Motifs de conflit
1. Différence de puissance:
Les disparités de force alimentent les conflits entre les organisations terroristes rivales. Les organisations fortes cherchent à éliminer les organisations (plus faibles) en croissance rapide par peur de concurrence sur les territoires et les ressources, ou dans leurs négociations avec les États. Les organisations (plus faibles), avec leurs opportunités de croissance, cherchent à défier les organisations dominantes (plus fortes) en se forgeant une meilleure représentation pour les affronter, comme l'indiquent Muhammad Hafez et Emily Kalah dans leur étude: "Fratricide dans les mouvements rebelles".

Dans cette spirale sanguinaire pour redistribuer le pouvoir, des conflits éclatent et perdurent entre organisations terroristes, et aucune organisation victorieuse ne sera épargnée par de nouveaux défis lancés par d'autres organisations terroristes cherchant une plus grande part de pouvoir et d'influence.

2. Equivalence des forces:
L'équivalence des forces entre les organisations peut conduire à des combats pour monopoliser le leadership, assurer la sécurité privée et éliminer toutes les menaces.

Autant les concepts intellectuels de ces organisations envers les régimes visés diffèrent, autant leur inimitié mutuelle est forte, car les différentes visions rendent leurs objectifs contradictoires et affaiblissent la confiance entre elles, ce qui fait de l'acquis d'une partie une perte pour l'autre, et rend la coexistence entre elles impossible.

3. Encadrement international:
Dans les environnements de guerres civiles où s'activent les organisations terroristes, les parties extérieures cherchent souvent à intervenir directement ou comptent sur les organisations terroristes pour atteindre leurs objectifs. Le parrainage d'organisations terroristes est une méthode efficace et moins coûteuse pour les Etats parrains qui fournissent des armes, de l'argent, de l'approvisionnement ou des sanctuaires à ces organisations dans l'espoir de réaliser leurs propres desseins.

Tantôt le parrainage externe unifie organisations terroristes ou rebelles, et tantôt il sape leur unité, les commanditaires incitant certains rebelles à défier leurs rivaux. Cela se produit souvent lorsque les plans politiques des parrains entrent en conflit. La présence de multiples sponsors constitue aussi une opportunité pour les organisations terroristes d'élargir leur champ d'indépendance et de réduire la pression exercée sur elles. 
 
Conflit persistant
Certaines caractéristiques communes intensifient et perpétuent les conflits entre les organisations terroristes qui mènent leurs guerres sur des oppositions radicales entre bien et mal, islam et mécréance, plaçant tous leurs ennemis dans la même case et cherchent à atteindre des objectifs ambitieux en usant de leur vision réduite et leur esprit borné, préférant d’éliminer leurs concurrents plutôt que de rivaliser avec eux, s'appuyant sur un code moral précaire et abominable, qui justifie le meurtre brutal de civils innocents et de membres d'organisations rivales.

Ces caractéristiques des groupes terroristes découlent de leurs approches outrées rejetant tout point de vue différent et tout compromis avec des groupes idéologiquement similaires mais optant pour des plans d'action différents.

Trait intrinsèque
Les conflits et les meurtres sont parmi les caractéristiques communes des groupes terroristes. Le conflit peut être alimenté par des facteurs externes, mais son existence et sa continuité découle des principes mêmes de ces organisations en dehors de tout autre facteur temporel ou spatial.

Au cours des trois dernières décennies, les conflits fratricides se sont intensifiés entre de nombreuses organisations terroristes, tels que le groupe armé en Algérie, Al-Qaïda en Irak et Daech en Syrie et en Irak.

- Le groupe islamique armé en Algérie
En décembre 1991, le Front islamique de Salut (FIS)a réussi à remporter 188 sièges sur 430 au premier tour des élections législatives et était sur le point de remporter la majorité des sièges au second tour en janvier 1992, mais la suspension du processus électoral a conduit à ce qu'on a appelé en Algérie la "décennie noire", marquée par des troubles civils et la propagation du terrorisme.

Plusieurs groupes rebelles y sont apparus, dont les plus importants étaient: le Groupe Islamique Armé (GIA) et l'Armée Islamique du Salut (AIS) (Branche militaire du Front du Salut). La perception du GIA et ses objectifs différaient du FIS concernant des questions majeures, telles que la démocratie en islam, la participation des islamistes aux régimes laïques, et le recours à la violence pour établir un État islamique.

Dès le début de la guerre civile, le GIA a taxé d'apostasie l'État algérien, régime, partisans, fonctionnaires et forces de sécurité, et décréta une guerre totale contre l'État. Il considérait la démocratie comme une hérésie et le jihad le seul moyen de renverser les dirigeants laïcs. Il rejetait toutes négociations ou réconciliation avec les éléments modérés du régime et entonnait le slogan: "Pas de dialogue, cessez-le-feu, réconciliation, sécurité ou garanties avec le régime apostat."

Le GIA a lancé une campagne tous azimuts pour renverser le régime. Il a d'abord affronté les forces de sécurité, puis en 1993 a inclus les responsables publics. Depuis 1995, la majorité de ses victimes étaient des civils tués au hasard dans des attentats ou dans des attaques contre les villages et les unités d'inspection.

L'AIS a critiqué les tueries du GIA qui y a répondu par une guerre ouverte le 4 mai 1995 et un ultimatum d'un mois à ses rivaux pour se repentir et rejoindre ses rangs. Puis, il menaça explicitement huit dirigeants du FIS et leur intima de cesser de parler au nom du mouvement islamique. Puis, le 13 juin 1995, le GIA a condamné à mort ceux qu'il appelait les "marchands de sang" à l'intérieur et à l'extérieur de l'Algérie avant d'attaquer l'AIS et de causer la mort d'environ 60 militants.

Le GIA a déclaré la guerre à l'Armée du Salut le 4 janvier 1996 et tué un mois plus tard 100 militants et 40 dirigeants du FIS. Les tueries infligées par le GIA à ses rivaux armés, ainsi qu'à ses anciens partisans, se sont poursuivies s'élevant à 76 massacres entre novembre 1996 et juillet 2001.

Puis la guerre civile devait prendre fin en Algérie après que le terrorisme du GIA n'eut abouti à rien et que certains de ses combattants ont rejoint d'autres groupes extrémistes, dont le Groupe salafiste pour la prédication et le combat, qui devint en 2007 "l'Organisation d'Al-Qaïda au Maghreb Islamique".

- Al-Qaïda en Irak
L'invasion de l'Irak par les États-Unis en 2003 a été confrontée par une résistance de tout bord, nationalistes, baasistes et des islamistes. La résistance se divisait en deux branches: la majorité des organisations islamiques nationales, telles que l'armée islamique en Irak, l'armée des moudjahidines en Irak, les brigades de la révolution de 1920 et les brigades Salah al-Din al-Ayyubi dont l’objectif commun était de réintégrer les sunnites dans le régime post-Saddam Hussein à égalité avec les chiites et les Kurdes; puis Al-Qaïda et les organisations partisanes qui adoptent la violence, rejettent la démocratie et menacent les chiites, et dont le but était de transformer l'Irak en un État islamique.

Al-Qaïda s'est livré à une violence généralisée, ciblant les forces d'occupation, l'infrastructure économique irakienne, les services de sécurité irakiens, les responsables gouvernementaux, les entrepreneurs étrangers, les partis et groupes de combat chiites et kurdes, les électeurs et les sunnites coopérant avec le nouveau régime.

Il persista dans son projet de provoquer une guerre sectaire en menant des attaques contre des civils, créa le Conseil de la Choura des Moujahidines en 2006, proclama l'État islamique d'Irak et appelé tous les autres mouvements à le rejoindre, et quiconque refusait d'obtempérer parmi les individus et les dirigeants devenait une cible légitime. L'Armée islamique en Irak, les Brigades de la Révolution de 1920, l'Armée des moudjahidines en Irak et les Ansar al-Sunna ont accusé al-Qaïda en Irak d'avoir tué des dizaines de leurs combattants et partisans.

- Daech et son Etat présumé
En 2013, l’organisation terroriste Daech a profité des troubles en Iraq, du retrait des forces américaines et de la guerre en Syrie pour reconstituer ses rangs et affirmer sa présence dans la région. Daech a déclaré l’établissement du soi-disant califat et a insisté sur le fait que tous les groupes rebelles en Syrie prêtent allégeance à son successeur trépassé Abou Bakr al-Baghdadi.

L'EI a continué d'attaquer les factions de tous bords et formulé le conflit en termes polarisants qui ne laissaient aucune place à la neutralité. Il a déclaré tous les chiites et les Alaouites comme des ennemis et considéré les Kurdes, l'Armée syrienne libre (ASL), l'Armée de l'Islam, Ahrar al-Sham al-Islamiyya (ASIM) et les islamistes associés aux Frères musulmans comme une menace pour son projet.

Les conflits entre l'EI et d'autres organisations se sont transformés en une guerre entre factions au début de 2013. La brigade Ahfad al-Rasul de l'armée syrienne libre a été attaquée en premier. En 2013, l'EI a exécuté 18 de ses membres pour refus de prêter allégeance, déclenché une guerre sanglante entre les deux parties. Le Liwa al-Tawhid a été le prochain groupe islamique ciblé par Daech, pour contrôler les principaux quartiers d'Alep. Puis il a attaqué Jaysh al-Islam - l'une des puissantes factions de la campagne de Damas - et publié une vidéo intitulée: "Repens-toi avant d'être arrêté", documentant la décapitation de 12 combattants appartenant à Jaysh al-Islam et Jabhat al-Nosra. Jaysh al-Islam a répondu en filmant l'exécution de 18 combattants de l'EI dans un clip vidéo intitulé: «Revanche des moudjahidines sur les traîtres kharijites».

- Entre Al-Qaïda et Daech
Quoique Daech ait émergé du dit État islamique en Irak proclamée par Abu Musab al-Zarqawi, la déclaration par Abu Bakr al-Baghdadi de son prétendu califat en Irak et au Levant a conduit à la rupture des relations avec al-Qaïda en 2014.

Les deux groupes se sont affrontés pour recruter des adeptes au sein des mêmes cercles extrémistes et étendre leur influence par tous les moyens disponibles. L'antagonisme entre les deux organisations se situait initialement au niveau des dirigeants. En juillet 2005, Ayman al-Zawahiri, deuxième leader d'al-Qaïda à l'époque, a envoyé une lettre à al-Zarqawi, dénonçant sa violence excessive envers les chiites en Irak, mais al-Zarqawi a poursuivi ses exactions.

Après la proclamation du prétendu califat en 2014, Ayman al-Zawahiri, chef d'Al-Qaïda à l'époque, n'a pas cessé d'accuser Daech de déviance. Dans son dernier discours le 15 juillet 2022, Al-Zawahiri a renouvelé son attaque contre Daech et déclaré que le califat d'Al-Qaïda diffère du califat mensonger et sanguinaire de Daech. Quant à l'EI, Al-Qaïda et ses organisations affiliées ne sont que des apostats opposés à son projet djihadiste et son califat. Après la mort d'Al-Zawahiri, le conflit reprit de belle. Al-Qaïda cherchait à revenir sur les lieux avec force, s'appuyant sur son héritage historique et Daech se présentant comme le seul représentant de l'approche djihadiste.

En conclusion
Les germes de conflit et de rivalité sans cesse en développement entre les organisations terroristes se nourrissent par leurs approches draconiennes, leurs esprits bornés, leurs visions perverses, leurs systèmes moraux débiles et méprisables, leurs conceptions contraires aux principes modérés de l'islam et leurs démarches s'opposant aux enseignements tolérants de la religion de juste milieu, ce qui fait de leurs luttes intestines et de leur autodestruction un impératif structurel.​