Plus de vingt ans après la campagne militaire lancée par les forces américaines contre l’Afghanistan et l’Irak, à la suite des attentats du 11 septembre 2001, la plupart des experts et analystes européens estiment que les activités des courants terroristes en Europe ont reculé par rapport à la situation dans la première décennie du XXIe siècle, ou après les années qui ont suivi la montée de Daech. Ce déclin ne signifie pourtant pas que la menace des groupes terroristes a disparu, car de nombreuses cellules terroristes dormantes planifient et attendent l’occasion pour surgir.

Cellules dormantes
La propagation des groupes terroristes dans diverses régions du Moyen-Orient, d’Asie centrale et d’Afrique subsaharienne les a aidés à former des cellules et des réseaux de relations dans certains pays occidentaux. Ces groupes se sont répandus dans plusieurs pays européens et ont pu coopérer avec des groupes criminels organisés pour mener des opérations terroristes ayant ébranlé la société européenne et mis les autorités politiques, sécuritaires et militaires dans un état d’alerte et de mobilisation permanent. Les attentats à la bombe de Madrid en 2004 étaient les plus sanglants, ils visaient un réseau de trains, causant la mort de 200 personnes et 1755 autres blessés. Bien que le cerveau de l’opération et ses collaborateurs soient des immigrés, ou des infiltrants dans le pays peu avant les attentats, nombre d’individus impliqués dans ces opérations seraient directement liés à la vie sociale espagnole, et dont il est difficile de prédire les intentions destructrices envers la société où ils vivent.

Oublier le passé
Après cette vague d’attentats, les sociétés européennes semblent aujourd’hui avoir tourné la page d’un passé douloureux et ne pas trop s’intéresser à organiser des activités rappelant les victimes de ces opérations odieuses. Quoique les activités des groupes terroristes et les risques d’extrémisme politique figurent en tête des priorités de la société européenne dans les dix dernières années, les sondages montrent que les soucis majeurs des Européens sont désormais la hausse des prix, l’inflation, les conséquences de la guerre en Ukraine, l’immigration clandestine et le réchauffement climatique.

Une thèse soutenue à l’Université espagnole Autonome en 2022, sur les méthodes de recrutement par l’EI et d’autres organisations terroristes, montre que les opérations de recrutement de l’EI en Europe s’appuient sur des plans très avancés en matière de propagande et de promotion et reposent sur trois principes : trouver de nouveaux éléments répondant aux conditions requises, les surveiller et essayer de communiquer avec eux, leur laver le cerveau et leur inculquer les idéologies extrémistes, puis les transformer en extrémistes prêts à exécuter les ordres sans hésiter.

Mouvements sociaux
La thèse souligne l’importance d’analyser le phénomène du recrutement en Europe sur la base de la «théorie des mouvements sociaux», qui cherche à expliquer de tels phénomènes à partir de l’étude des courants intellectuels, sans se contenter d’observer des cas individuels et de les extraire de leur contexte social, pour qualifier enfin leurs comportements de cas anormaux ou exceptionnels. Selon cette approche, on constate qu’après les attentats de Madrid et d’autres capitales européennes, les personnes qui ont rejoint les groupes terroristes en Europe étaient des personnes qui détestent leurs sociétés, ou des anciens immigrés incapables de s’intégrer dans ces sociétés dans lesquelles ils se considèrent toujours comme des étrangers.

Selon les investigations et les recherches scientifiques, nombre de ceux qui communiquaient avec ces groupes ou les rejoignaient avaient des degrés divers d’engagement religieux et n’appartenaient pas nécessairement à des groupes négligés, pauvres, parias ou à faible niveau scolaire. Par conséquent, il ne devrait pas y avoir de critères fixes pour les types d’individus qui rejoignent les organisations terroristes. Les motivations des recrues de l’EI ou d’al-Qaïda dans des pays tels que le Yémen, l’Irak, la Syrie, l’Afghanistan et les pays du Sahel diffèrent des recrues de groupes extrémistes dans les pays européens.

La première catégorie comprend les anciens combattants démobilisés comme en Irak, ou les populations démunies déplacées par les conflits armés comme en Syrie, ou les pauvres peu conscients et attirés par l’argent dans la spirale de la violence et du terrorisme, comme dans les pays du Sahel. De même, dans certains Etats incapables de contrôler l’ensemble de leurs territoires, et qui pratiquent l’exclusion, l’oppression et la violence contre leurs citoyens. L’adhésion aux groupes terroristes vient en contrepartie pour s’opposer à ce type de pratiques.

Recrutement en Europe
Outre le nombre de personnes recrutées dans les banlieues pauvres d’Europe, peuplées d’immigrés et où les services sociaux sont rares, on constate qu’un grand pourcentage de criminels se voit radicalisé à l’intérieur des prisons et des centres de détention par des activistes fondamentalistes. Un autre pourcentage des classes éduquées croit en l’importance de se battre, et refuse de s’intégrer dans l’environnement familial et communautaire. Cette question devrait être prise en compte par les agences de sécurité et les institutions de lutte contre le terrorisme. Il est à noter que beaucoup d’experts en technologies modernes de l’information, des cyber-réseaux et des médias sociaux sont des recrues de pays occidentaux, touchant des salaires considérables, des groupes terroristes, qui dépassent ceux de leurs collègues dans les secteurs public et privé.

Ce n’est pas seulement l’aspect financier qui pousse ces personnes à coopérer avec les groupes extrémistes, mais plutôt leurs motifs idéologiques, et souvent leur désir de se venger des sociétés européennes en raison de la discrimination qu’ils éprouvent dans le marché du travail, outre leur empêchement d’accéder aux postes supérieurs dans l’État. Ces compétences ont donc contribué à développer les capacités électroniques et informatiques des organisations terroristes, les technologies spécifiques au Web profond et à communiquer avec certains groupes de jeunes en Europe via des plateformes de médias sociaux (Twitter, Facebook et Instagram) pour les polariser et les recruter.

Selon les témoignages de certains extrémistes, il y a une discrimination entre eux et les personnes qui travaillent dans les services informatiques qui reçoivent des primes supplémentaires pour leur capacité d’attirer davantage de nouvelles recrues, et multiplier les effets des opérations terroristes dans les médias mondiaux et européens en particulier.

Motivations diverses
En raison des différents motifs d’adhésion aux activités des groupes extrémistes, le problème doit être abordé selon les différents aspects idéologiques, intellectuels, économiques, politiques et sociaux. Vient donc l’importance de «l’encadrement des activités sociales», terme tiré de la psychologie sociale, qui s’intéresse aux contextes constituant le point de départ solide pour les significations, les croyances et les attitudes générales qui justifient un projet collectif spécifique, et s’accompagnent d’un discours spécialisé qui cherche constamment à prouver la validité des mesures prises, aussi brutales et inhumaines qu’elles puissent paraître à ceux qui sont étrangers de ces contextes.

Les groupes consultatifs dans les cellules terroristes identifient les dossiers susceptibles d’éveiller l’attention de la population cible du discours en premier lieu, créent un système intellectuel qui comprend la prise de certaines mesures pour faire face à un problème supposé, puis recherchent de justifications intellectuelles pour se joindre à une action décisive permettant de trouver une solution à ce problème.

Il faut reconnaître que les centres de conseil et de propagande au sein de ces organisations ont connu du succès dans l’élaboration de problèmes qui amènent les citoyens européens à croire qu’un ensemble de mesures est inévitable, même s’ils conduisent à des options terroristes. Le «système d’encadrement» est considéré comme réussi lorsque l’individu est impliqué dans l’étape finale, celle de contribuer à la solution finale.

On ne peut comprendre les conséquences du processus de cet encadrement en dehors de la théorie des mouvements sociaux, notamment au niveau du recrutement et de la mobilisation, car il fournit une mise à jour continue de ce qu’on appelle : «l’industrie de la pensée permanente», en raison de l’existence d’un plan de propagande qui crée des slogans et des messages de base puis les promeut auprès des partisans. Nous pouvons voir ce processus dans les plans de l’EI pour attirer de jeunes Européens dans ses bases en Syrie et en Irak dans la 2e décennie du XXIe siècle. Ces organisations leur miroitaient de réaliser leurs rêves de résider dans un environnement purement religieux exempt d’hypocrisie et d’incrédulité, or ces promesses n’auraient pas séduit certaines gens sans l’efficacité des plans d’encadrement susmentionnés.

Les méthodes de propagande ont culminé à la tentation de séduire ces jeunes à vivre dans le pays du prétendu califat, le préférant à leurs patries d’origine. Malgré les guerres et les crises économiques et sociales dans ces zones reculées, le système d’encadrement a fourni un terrain fertile pour atteindre son objectif principal. Ainsi, ce qui a attiré des centaines de jeunes Européens et les a poussés à rejoindre ces groupes extrémistes pour accomplir diverses tâches allant du combat à la propagande clandestine en passant par la gestion des réseaux de communication et de sites internet, c’est l’action d’encadrement qui leur a fourni la motivation, le besoin et la solution, sans qu’ils aient à réfléchir profondément, à travers des messages et des discours faciles à déconstruire. Ces cadres souples, malléables et graduels, sont pourtant solidement établis sur la base d’une rupture entre «nous» et «eux».

Conclusion
Nous remarquons enfin que les plans des groupes terroristes dans les périodes antérieures, quoiqu’inexistants aujourd’hui ou ayant un faible impact, sont susceptibles de ressurgir et de menacer l’Europe, ce qui oblige les gouvernements à réfléchir aux effets des crimes terroristes antérieurs, et de déployer tous les efforts possibles pour empêcher qu’ils ne se reproduisent à l’avenir. Il faudrait examiner les erreurs stratégiques qui ont conduit au vide et au chaos dans certains pays tels que l’Afghanistan, l’Irak et la Syrie, pour éviter que le danger n’atteigne la communauté européenne. Les institutions sécuritaires, civiles et sociales doivent surveiller les mouvements suspects des cellules dormantes terroristes et coordonner avec les autres pays pour les éliminer avant que leur danger n’empire.