De nombreuses études et recherches ont été menées sur les différents types de médias d’organisations terroristes de toutes sortes pour les décrire, les critiquer et suivre leur impact sur la société en général et le public et les partisans de ces organisations en particulier. Toutefois, les produits médiatiques de ces groupes et organisations ne véhiculent pas uniquement des messages directs, mais comportent de nombreux signes et connotations, parfois plus profonds et plus significatifs que le discours direct, ciblant les sentiments, suscitant l’instinct de vengeance, ou tentant de persuader les esprits en maquillant leurs discours d’un revêtement dogmatique, faisant de la religion un «produit d’usage», exploité avec beaucoup de soin, de ruse et de détermination.

I- Manipulation des symboles et des signes
Les organisations terroristes sont pleinement conscientes de l’emploi de symboles, de signes, de couleurs et d’images dans leurs discours pour défendre leurs perceptions, attirer des adeptes et créer un environnement social favorable ou du moins neutre et non hostile, pour pouvoir s’attaquer et neutraliser les forces politiques, sociales et sécuritaires qui s’opposent à leur l’accès au pouvoir.

Il faudrait donc clarifier l’étendue et le niveau de la signification «symbolique» que véhiculent le discours et la pratique médiatique des organisations terroristes, avec leurs lots de slogans, icônes, banderoles, gestes corporels, tenues, apparences et photos.

Il s’agit d’analyser l’implicite des médias tapageurs et grossiers, mais dont le mutisme, les signes et les images sont plus explicites que la parole. Les signes et symboles dans le discours extrémistes sont visibles, et il semble que les tenants de l’outrance en soient conscients et qu’ils en usent à bon escient, sinon, ils n’auraient pas cherché à se distinguer en apparence et en tenue, et à incruster leur discours de phrases à redondance, au point que certaines expressions sont devenues des clés pour les «déchiffrer» et comprendre leurs pensées et leurs orientations.

Naturellement, cette sémiologie distingue ces organisations. Tout au long de l’histoire, les organisations militarisées ou politiques, avaient tendance à utiliser des symboles et des icônes, et d’exposer au grand public une image spécifique d’elles-mêmes, qui varie en fonction des objectifs assignés. Par le passé, ces signes et icônes étaient largement diffusés dans les magazines ou journaux de organisations, ainsi que dans leurs banderoles et leurs déclarations publiques et publications secrètes. Puis, Internet et les réseaux sociaux en particulier, leur ont permis des opportunités plus larges d’user de cette sémiologie.

II- Racines sémiologiques des extrémistes
Le discours des extrémistes et des terroristes ne découle pas du néant, mais s’appuie sur un prédécesseur, même si ce référent est, aux yeux des modernistes et des partisans des lumières et du renouveau en jurisprudence et interprétation des textes sacrés, vieillot et périmé. Mais un tel discours demeure plein de mouvement, d’action et de renouveau aux yeux des militants extrémistes et conservateurs, qui s’attachent à tout ce qui est ancestral et du passé.

C’est pourquoi la sémiologie utilisée par les extrémistes de nos jours n’est pas l’enfant légitime de notre temps, mais découle aussi de perceptions jadis ancrées dans les pratiques des époques reculées. Les symboles, slogans et sémantique d’autrefois se font récupérer ou emprunter pour remplir une fonction immédiate, déconnectée de son contexte temporel et spatial, et placée dans un environnement social et politique diamétralement opposé.

Les termes tels que «bannière» au lieu de «drapeau», «épée» à la place «d’arme à feu» ou «secte» pour faire office de «groupe ou organisation» sont les termes les plus en vogue parmi ces groupes, et ne constituent pas un lexique insipide, mais plutôt un lexique chargé de sens et de signes significatifs utilisé par ces organisations afin d’atteindre leurs objectifs. Ainsi, l’adoption par les groupes extrémistes du concept de «Faction promue au salut» que se prétend chaque groupe, vise à remplacer le concept contemporain d’institutions, d’entités et de société civile, ou pour alléguer que tel groupe porteur de valeurs religieuses authentiques est le seul digne de confiance pour prendre en charge le pouvoir et les pratiques temporelles.

De nombreuses cultures cherchent à retracer leurs racines pour prouver leur authenticité et s’assurer la prise de conscience des disparités temporelles, spatiales et contextuelles, alors que les extrémistes et les dogmatiques sclérosés s’imaginent que seul l’ancien est valable, au point que cet ancien devient un «symbole», qu’il s’agisse de chefs historiques, de tendances religieuses ou de livres écrits par les prédécesseurs. Certains individus se dotent même d’aura pour devenir des symboles complets à qui l’on décerne des titres honorifiques pompeux, tels que «Hujjat Al-Islam» (Argument de l’Islam), «Cheikh Al-Slam» (Dignitaire), «Hibr Al-Ouma» (Savant de la Nation), «Gaouth» (Secours) et «Qutb» (Pôle), … etc.!

III- Sémiologie moderne des groupes religieux et politiques
Beaucoup d’observateurs ont analysé l’emblème du Groupe des Frères, formé de deux épées croisées et d’un Coran, séparé du terme coranique «أَعِدُّوا», déduisant que le groupe, depuis sa fondation par Hassan al-Banna en 1928, s’est fixé pour objectif de recourir au pouvoir matériel afin de changer la société, puis l’État, selon sa vision.

Un tel «symbole», chargé de sens, avec ses références coraniques et sa couleur verte qui symbolise la bonté, la croissance et la prospérité, n’a pas empêché beaucoup de gens de dire que cette communauté agira différemment de ses principes si jamais elle sera au pouvoir et que toute sournoiserie ne peut nous faire oublier le dicton d’Al-Banna: «La base de cette religion est un Coran qui guide et une épée qui épaule.» Cette déclaration est celle d’un leader dont les paroles transcendent les autres attestant le symbolisme d’un emblème qui statue que l’épée accompagne le Coran, quoique dans la pratique, l’épée prévaut sur le Coran.

La question ne diffère pas de beaucoup chez la «Jamaa islamique d’Égypte», qui place le sabre dégainé entre deux pages du Saint Coran du Coran et devant un soleil brillant tendu vers le verset coranique suivant: «Et combattez-les jusqu’à ce qu’il ne subsiste plus d’association, et que la religion soit entièrement à Allah.» Et suite à l’initiative de cessation de violence en 1997, l’épée a été supprimée et un verset coranique alternatif a pris sa place dans la figure, qui est: «Établissez la religion; et n’en faites pas un sujet de divisions». Après la révolution de janvier, ce verset a été gardé mais l’épée devait reprendre sa place, en réponse à un appel des dirigeants du groupe affirmant que la nouvelle option politique suivie par la confrérie à travers la proclamation du parti politique «Construction et développement» aura besoin de la force pour sa protection.

Bien que certains dirigeants du groupe soient restés en sourdine fidèles au vieux slogan et aient opté pour la violence après le renversement du régime des Frères en juillet 2013, le choix d’un autre verset et le retrait de l’épée montrent qu’ils sont pleinement conscients de l’impact des symboles sur la vie du groupe ou de l’organisation. 

Quant au groupe du jihad, son emblème est un cavalier monté sur son cheval, avec un étendard noir à la main gauche et une arme à la main droite, prétendant représenter le Messager d’Allah Mohammed, que la Bénédiction et la Paix soient sur Lui, usant de l’épée comme moyen de changement et d’autonomisation, bien que la plupart des guerres qui aient eu lieu à l’époque du Prophète (S) étaient des guerres défensives. Cet emblème, avec toutes ses connotations, a été adopté par les diverses organisations djihadistes jusqu’à ce qu’il ait été emprunté par l’Organisation «Al-Qaïda», alors que l’Organisation du Jihad, elle-même opta en 1994 pour un autre emblème, qui est un Coran entre deux fusils automatiques, et ce avant la proclamation du soi-disant «Front islamique international pour combattre les croisés et les juifs», connu dans les médias et au niveau de la sécurité sous le nom d’Organisation Al-Qaïda en 1998, qui devait se forger un autre emblème, sous forme d’une bannière noire sur laquelle est inscrite la devise du monothéisme «Il n’y a de dieu qu’Allah, Muhammad est le Messager d’Allah», semblable à la couleur de la bannière remise par le Messager d’Allah (S) à l’armée musulmane au début de l’appel à Dieu. L’Organisation de Daech devait adopter le même emblème.

En plus des slogans, ces groupes et organisations utilisent des représentations visuelles spécifiques pour s’établir une image mentale d’eux auprès du public, en vue de montrer leur force et leur puissance, comme nous l’avons vu lors de l’autodafé intenté au pilote jordanien, «Moaz Al-Kasasbeh», qui a été emprisonné dans une cage et incendié. De même, l’image de chrétiens égyptiens agenouillés, le cou tendu vers l’avant pour être décapités par le bourreau de Daech, avant que la caméra ne montre les images de la plage ensanglantée par l’exécution brutale. Il s’agit là de deux cas flagrants, parmi de nombreux autres cas qui montrent comment l’organisation use de l’image au service de ses fins.

Quant à l’apparence physique, de nombreux groupes tiennent à se distinguer des autres, ainsi que des autres groupes similaires, telle que par le turban qui caractérise les adeptes du groupe Tabligh et Da`wah et les différentie des autres, et dont le bord traine de côté, - ils l’appellent «Aziba» -. Quant aux Frères, ils se distinguent par leurs barbes courtes et leurs moustaches bien entretenues. Les Daech s’habillent en noir, tout comme les femmes, que l’on qualifie de «Monts noirs». Tout ce symbolisme constitue un véritable discours tacite.

IV- Les extrémistes et la sémiologie du langage corporel
La sémiologie suivie par les organisations extrémistes ne se limite pas à l’usage d’expressions traditionnelles chargées des connotations paradoxales détachées de leurs contextes et utilisées à outrance, ce qui les déplace de la sphère du dire à celle du symbole. Le langage corporel concourt également dans cette optique pour atteindre les objectifs escomptés, renforcer les messages adressés à des moments spécifiques et transmettre le sens ciblé aux adeptes et aux futures recrues. Ceux qui suivent la rhétorique de ces groupes se rendent compte que leurs dirigeants et leurs prédicateurs usent de toutes sortes de gestes corporelles pour la persuasion, l’intimidation, la mise en garde et la menace en position de force, et de rapprochement, de sympathie et de connivence en position de faiblesse, afin de gagner la bienveillance des autres avant de reprendre force et de s’attaquer à leurs adversaires.

Tout au long de leur histoire, ces organisations ont connu de nombreux dirigeants et prédicateurs qui se sont adressés aux masses lors de réunions directes ou télévisées, ou dans les médias électroniques, et qui ont fait preuve d’adresse à utiliser le langage corporel, soit pour mieux convaincre, soit pour exprimer toutes sortes d’idées implicites et de significations véhiculées sous forme tacite.