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24/04/2022

Le terrorisme ne découle pas nécessairement des croyances religieuses, quoique la réalité de notre monde trahit une certaine relation entre terrorisme et religion qui en a fait un terrorisme transfrontalier. Le terrorisme moderne du XIXe siècle était laïque la plupart du temps, et les campagnes terroristes du XXe siècle se déroulaient sous la bannière des idéologies nationalistes et marxistes. Mais la violence politique pré-moderne n’était pas sans connaître des groupes religieux que certains chercheurs considéraient comme terroristes, tels que les Sicaires juifs en Palestine sous la domination romaine ou les Assassins au Moyen-Orient au Moyen Âge. Au cours des dernières décennies, ont émergé des organisations terroristes qui brandissent l’étendard de la religion tels qu’Al-Qaïda, Daech, Boko Haram, les organisations de droite du christianisme évangélique américain, le mouvement nationaliste hindou Hindutva en Inde et les mouvements religieux extrémistes en Israël qui ont lancé des attaques terroristes juives telle l’attaque de 1994 contre les fidèles musulmans dans la mosquée d’Al khalil. La secte japonaise Aum Shinrikyo de tendance bouddhiste a lancé l’horrible attaque au sarin dans le métro de Tokyo. L’extrémisme de droite est en hausse en Europe occidentale et en Amérique du Nord, alimenté par des impulsions religieuses.

Le livre (Arme de paix: Comment la liberté religieuse combat le terrorisme?) a présenté des recherches qui traitent de cette question et disculpent les religions de la responsabilité de ce que les chercheurs appellent le «terrorisme religieux.» L’auteur Nilay Saiya, professeur adjoint en sciences politiques à l’Université technique de Nanning à Singapour, use du même terme, mais il l’utilise à des fins méthodologiques, et estime que le «terrorisme religieux» pratiqué par des organisations qui brandissent l’étendard de la religion, sans prêter attention à l’authenticité de leurs slogans, n’est pas dû à la religion elle-même, mais au comportement des acteurs, c’est-à-dire aux groupes dits religieux ou à l’État qui leur fait face. Ce livre a été publié par la prestigieuse université de Cambridge.


​Ce livre
Le livre se divise en cinq principaux chapitres, en plus d’une introduction et d’annexes. Le chapitre introductif présente l’idée principale du livre étayée d’arguments, et explique la relation entre le terrorisme religieux et la liberté religieuse. Le premier chapitre passe en revue le terrorisme religieux et ses causes, soulignant que la religion en soi n’est pas un instigateur de violence, mais plutôt un élément sous-jacent qui s’active lorsqu’il interagit avec son environnement politique.

Dans les trois chapitres suivants, l’auteur Saiya fournit une analyse statistique de la relation entre l’oppression religieuse et le terrorisme religieux, en plus d’études de cas qui illustrent la relation entre la liberté religieuse et le terrorisme religieux. Ces études de cas sont convaincantes, car elles couvrent une variété de pays, et non une région spécifique pour étayer leur argumentation.

Les chapitres comprennent des analyses qui avancent des explications alternatives du niveau de terrorisme religieux. Le livre se termine par un chapitre soulignant l’importance de la liberté religieuse et sa nécessité dans la politique étrangère des États-Unis. L’auteur analyse la relation entre le terrorisme et l’oppression religieuse, que ce soit à la lumière de la vision historique ou à la lumière des développements contemporains, en s’appuyant sur un ensemble d’études de cas et diverses données quantitatives, et conclut que la répression de la religion conduit à l’extrémisme et à la violence, et que la protection de la liberté religieuse est une nécessité à la fois morale et stratégique.

Les attaques de militants qui brandissent haut l’étendard de la religion se sont multipliées au cours des trois dernières décennies, et il semble que la meilleure arme pour freiner l’extrémisme religieux violent, selon l’auteur, est que les États et les sociétés autorisent la liberté de religion, conclusion qu’atteste son enquête sur le lien entre terrorisme et répression de la religion.

Liberté religieuse
Le livre traite de la relation entre la liberté religieuse et le terrorisme basé sur les dogmes dans un contexte polémique, et répond à des questions urgentes telles que: la lutte contre le terrorisme est-elle plus efficace en resserrant les restrictions religieuses, ou réussit-elle mieux en prônant la liberté religieuse ? Le respect de la liberté religieuse aide-t-il les États à prévenir le terrorisme se revendiquant de la religion, ou leur lie-t-il les mains ?

Certains militants peuvent prétendre que parer au terrorisme nécessite de restreindre certaines libertés comme la liberté religieuse, au nom de la préservation de la sécurité nationale. Ces libertés, selon eux, empêchent les gouvernements d’utiliser toutes les armes de leur arsenal pour améliorer leur politique antiterroriste, et augmentent les chances d’apparition de groupes terroristes qui commettent des attentats et recrutent des partisans. Tout en reconnaissant que le durcissement des restrictions religieuses est inapproprié, ils le jugent nécessaire dans la réalité contemporaine de l’extrémisme religieux violent et critiquent les restrictions à la lutte contre le terrorisme dans les pays libéraux (interdiction de la torture, restriction de la surveillance, procès équitable, etc. ). Ils considèrent que ces restrictions augmente l’efficacité de la lutte contre le terrorisme, et qu’en bref, les pays les moins vulnérables au terrorisme sont ceux qui ont les plus grandes capacités à surveiller la société et à imposer le plus de restrictions au mouvement et aux médias.

D’un autre côté, d’autres, dont l’auteur du livre, pensent que la suppression de la liberté religieuse est en fait un facteur important qui pousse et incite à davantage de terrorisme religieux. La religion étant une partie intrinsèque de l’expérience humaine, de l’identité et de l’être humain tout au long de l’histoire humaine, il est logique que sa suppression ait des conséquences désastreuses, conduisant à des niveaux de violence plus élevés, permettant aux terroristes qui s’en réclament de surmonter les obstacles à l’activité terroriste dans de nombreux pays. Car la suppression de la liberté religieuse empêche les gens de réaliser leur quête humaine essentielle à ce qu’ils croient être le sens même de la vie, de sorte qu’entraver la quête spirituelle de l’homme ne sape pas simplement la capacité des peuples à voter, à établir des partis politiques ou à rechercher l’égalité économique, mais impose des limites aux droits fondamentaux de la liberté des gens de croire aux vérités absolues.

L’auteur du livre souligne que lutter contre le terrorisme en censurant les libertés religieuses, en faisant un usage excessif de la force, en empêchant la participation à la prise de décision politique et en confisquant la liberté d’expression, risque de faire perdre le soutien des modérés et du peuple en général, nécessaire pour réussir dans cette guerre. Cela risque aussi de faire monter les chances de l’apparition du terrorisme et donne l’occasion aux terroristes de commercialiser la violence comme seul moyen de changement, et d’influencer les sympathisants avec l’État.

Défi permanent
Dans son livre, l’auteur ne cherche ni à accuser ni à disculper aucune religion, ni à examiner les revendications religieuses d’aucun groupe terroriste, ni à lier les actes terroristes à des textes religieux. Il part de la réalité et non du texte, une réalité qui montre que le terrorisme fondé sur des justifications religieuses est devenu un phénomène presque quotidien dans le monde d’aujourd’hui, depuis Daech en Syrie, en Irak et dans d’autres pays, aux groupes bouddhistes en Birmanie, aux hindous au Sri Lanka et dans l’État indien du Gujarat, aux chrétiens d’Afrique centrale, à l’Armée chrétienne du Seigneur en Ouganda et aux groupes juifs en Israël. Ainsi, les extrémistes qui justifient la violence se trouvent dans toutes les religions, et les attaques des extrémistes religieux ont beaucoup augmenté au cours des trois dernières décennies.

Ces actes terroristes, que les auteurs imputent à des justifications religieuses, sont devenus récemment un défi majeur pour le monde entier. Les statistiques de la base de données mondiale sur le terrorisme ont révélé qu’au cours de l’année précédant les attentats du 11 septembre 2001, le monde avait connu 255 attentats terroristes pour des motifs religieux, culminant en 2014 à 2237 attentats, outre que le nombre des groupes terroristes religieux a également augmenté. Le département d’État américain a qualifié seulement sept groupes religieux «d’organisations terroristes étrangères» menaçant la sécurité nationale des États-Unis. En 2016, le nombre avait atteint 45 organisations.

Raisons de l’augmentation
En voici une question qui mérite bien une réponse convaincante: quelle est la raison de l’augmentation du terrorisme à motivation religieuse ? Pour répondre à cette question, l’auteur analyse trois tendances mondiales liées à la religion.

La première tendance est la renaissance de la religion, ou le soi-disant retour du monde à la religion. Des études récentes ont montré que la religion gagne en force dans toutes les régions du monde et qu’elle a une plus grande présence politique aujourd’hui qu’elle ne l’a jamais été, et que le processus de modernisation, de mondialisation et de démocratisation que prédisaient les thèses laïques conduisant à la disparition de la religion ne s’est pas concrétisé. Au contraire, les échecs apparents des projets laïcs dans les pays en développement ont permis aux principales religions du monde de gagner en importance et en popularité dans le monde moderne. 85% de la population mondiale croit en une religion ou en une quelconque croyance religieuse. L’éminent expert social Peter Berger, qui était autrefois un fervent partisan de la laïcité, admet que le monde est devenu plus religieux et non moins religieux qu’il l’avait prévu ! Il affirme que le monde est «aussi profondément religieux qu’il ne l’a jamais été, et à certains endroits plus que jamais».

La deuxième tendance est celle des restrictions sur la religion. Elle comprend les tentatives de restreindre la pratique religieuse face au renouveau religieux. Les rapports successifs du Pew Research Center révèlent que près des trois quarts de la population mondiale vivent dans des pays où les restrictions religieuses sont «élevées» ou «très élevées». Ces rapports ont également montré que seulement 1% de la population mondiale vit dans des pays où la liberté religieuse se renforce. Ces conclusions ont également été confirmées par le «Projet sur la religion et l’État» dirigé par Jonathan Fox, professeur de religion et de politique. Les recherches du projet montrent que sur les trente types de restrictions religieuses, vingt-huit sont plus courantes aujourd’hui qu’elles ne l’étaient en 1990, et que des restrictions élevées sur les croyances et pratiques religieuses peuvent être trouvées dans toutes les régions du monde, et parmi les adeptes de toutes les religions. L’oppression religieuse se retrouve dans la Russie chrétienne, la Birmanie et le Laos bouddhistes, l’Inde et le Népal hindous, le Pakistan musulman et l’Israël juif. 

La troisième tendance est la résistance, résultat des deux premières tendances contradictoires (le renouveau de la religion et les restrictions qui lui sont ​imposées). Il est peu probable que les croyants ne résistent pas à ces restrictions ou soutiennent ceux qui les pratiquent. Parfois, cette résistance prend la forme d’une protestation pacifique, et à d’autres moments, la réaction à la répression peut devenir violente, au point de désintégrer des États et menacer la stabilité de leurs voisins.

Le livre confirme que ces trois tendances sont étroitement et inextricablement liées, et l’argument présenté ici est simple et clair: les tentatives des États de supprimer la religion produisent le fanatisme et le terrorisme que les sociétés cherchent à éviter. Ce n’est pas un hasard si la plupart des pays du monde qui posent les menaces les plus graves à la paix et à la sécurité aux niveaux national et international sont ceux qui subissent une persécution religieuse sous une forme ou une autre.

Analyse des données
L’auteur analyse la relation entre les activités terroristes (variable dépendante) et les libertés religieuses (variable indépendante) en examinant les opérations terroristes dans 174 pays, de 1991 à 2012, en se référant à la base de données sur le terrorisme mondial de l’Association nationale américaine pour l’étude du terrorisme et la réponse «START», et en les reliant au niveau de liberté religieuse dans ces pays par le biais de «l’Indice de réglementation gouvernementale de la religion – GRI», qui tente de mesurer dans quelle mesure les gouvernements cherchent à contrôler les groupes religieux ou les individus par le biais de politiques et de législations officielles. L’indice comprend 196 États et régions, et ses degrés varient entre zéro et 10, le degré 10 indiquant les restrictions les plus odieuses à la liberté religieuse. L’auteur divise ces scores en trois catégories: faible (entre 0 et 3,3), moyen (entre 3,3 et 6,6) et élevé (entre 6,6 et 10).

L’auteur souligne que l’analyse de l’ensemble des données révèle que la «variable» la plus importante est la réglementation de la religion (GRI), son effet étant plus de deux fois supérieur à celui de la «variable» importante suivante. Lorsque les personnes religieuses se retrouvent marginalisées par toute forme de restriction religieuse, elles sont plus susceptibles de poursuivre leurs objectifs en recourant à la violence. Cela ne se produit pas automatiquement. Les institutions politiques influencent la tendance à la violence des groupes religieux et des individus. Si la réglementation gouvernementale de la religion conduit à des griefs politiques affectant les groupes religieux et les individus, et si la persécution religieuse est sévère, elle peut favoriser une forme extrême de fondamentalisme religieux ! La variable la plus importante ici est la réglementation de la religion par l’État, car c’est la clé pour déterminer si un pays est soumis ou non à des attaques terroristes à justification religieuse. L’impact de la répression religieuse en tant que cause du terrorisme augmente lorsqu’elle est combinée à une population nombreuse, des régimes fragiles et une vision dominante des groupes religieux considérés comme une menace pour la situation politique du pays.

L’analyse des données révèle que les pays avec des restrictions sévères sur la religion sont plus susceptibles d’être vulnérables aux attaques terroristes religieuses, et qu’une réglementation stricte de la religion correspond à un pourcentage plus élevé d’attaques terroristes religieuses, en comparaison aux pays avec des niveaux modérés ou faibles de restrictions religieuses. Des attaques religieuses ont eu lieu dans des pays où les restrictions religieuses sont «élevées» pour une population de plus de 10 millions d’habitants.

Cependant, il existe quelques exceptions à cette règle: le régime est en place depuis plus de 47 ans, ou le pays n’a pas été occupé par une puissance étrangère, les attentats à caractère religieux se sont alors produits à un taux de seulement 28,57 % (Chine et Égypte pour certaines années). Les résultats montrent une myriade de façons dont divers facteurs peuvent être combinés avec de fortes contraintes religieuses pour prédire des attentats terroristes religieux. Les preuves confirment que les contraintes religieuses sont une condition nécessaire pour prédire le terrorisme religieux. Rares sont les cas où des régimes répressifs établis de longue date ont réussi à déjouer des attentats terroristes.

Les pays modérément religieux à faible population (10 millions d’habitants) ont fait l’objet d’attaques religieuses lorsque plus de quatre minorités religieuses y vivaient et étaient gouvernées par un régime au pouvoir depuis moins d’un an. Lorsque la population des pays modérément tolérants a dépassé les 10 millions, les attentats n’ont eu lieu que dans les pays européens comptant plus de huit minorités religieuses, ainsi qu’en Asie et au Moyen-Orient. L’analyse des pays avec des niveaux modérés de tolérance religieuse montre que la probabilité d’une attaque terroriste est de 90% inférieure à celle des pays avec des niveaux élevés de restrictions religieuses.

Les pays avec des restrictions religieuses modérées, de petites populations et peu de minorités religieuses ne subissent pas d’attaques terroristes religieuses. Cette règle s’applique à nombre de pays pour des années spécifiques, notamment: l’Autriche, Bahreïn, la Belgique, le Cambodge, Djibouti, le Kazakhstan, le Kirghizistan, la Macédoine, la Roumanie et les Émirats Arabes Unis. Ces pays ne font pas partie des pays les plus libres sur le plan religieux, mais leur faible population et leur homogénéité religieuse leur évitent le terrorisme religieux.

De nombreux pays avec de faibles restrictions religieuses n’ont été témoins d’aucune attaque terroriste religieuse au cours de la période étudiée, dont: Argentine, Australie, Bolivie, Brésil, Canada, Danemark, Estonie, Finlande, Guyane, Honduras, Italie, Madagascar, Mozambique, Nouvelle-Zélande, Panama, Paraguay, Pologne et Afrique du Sud.

L’analyse des données révèle également que les restrictions religieuses peuvent devenir un problème lorsqu’elles sont associées à une population nombreuse et à des régimes moins stables. Cette règle s’applique au Bangladesh, Birmanie, Indonésie, Pakistan, Algérie, Égypte, Iran, Nigéria, Russie, Soudan et Turquie, pour des années spécifiques.

L’analyse des données conclut que la «variable» la plus importante qui prédit l’apparition du terrorisme religieux est la régulation gouvernementale de la religion (GRI), lorsque la taille de cette variable diminue (moins de restrictions religieuses) les autres variables n’ont aucun effet pour expliquer l’absence du terrorisme religieux. À quelques exceptions près, le terrorisme religieux augmente considérablement avec l’augmentation du niveau des restrictions religieuses. L’analyse a également révélé que le niveau de richesse d’un pays n’a rien à voir avec le terrorisme religieux, remettant en question l’adage selon lequel le terrorisme religieux a plus à voir avec la pauvreté qu’autre chose.

Cinq précautions
Le livre évite le langage affirmatif dans ses conclusions sur l’analyse des données relatives à la nature de la relation entre la liberté religieuse et le terrorisme. Il énumère cinq précautions ou mises en garde importantes concernant ces conclusions, qui sont:
  1. Le livre ne suggère en aucun cas que les pays religieusement libres ne connaissent jamais de terrorisme religieux, ou que les pays avec des niveaux élevés de restrictions religieuses produisent toujours du terrorisme. Cela dépend de la nature de la répression et des opportunités politiques disponibles. Ici, on peut faire valoir que les États les plus tyranniques et les plus brutaux tels que l’Allemagne nazie, la Russie stalinienne ou la Corée du Nord contemporaine sont les meilleurs pour réprimer les motivations terroristes, car ils empêchent carrément toute action collective des terroristes. Dans de tels cas, le degré de persécution religieuse est si grave et omniprésent que les groupes religieux sont incapables de mener à bien les pratiques de leur foi, et encore moins de se livrer à la violence. Malgré ce type de répression extrême très rare, la relation fondamentale entre la répression religieuse et le terrorisme religieux demeure parce que la plupart des pays n’ont pas la capacité ou le désir d’organiser la vie religieuse selon les lignes mentionnées ci-dessus. La suppression généralisée et aveugle de la religion augmente souvent le coût pour les citoyens ordinaires de rester pacifiques et donne à la résistance armée une justification de la possibilité de changer le statu quo. Si le terrorisme est une menace à la fois pour les sociétés religieusement libres et religieusement restreintes, il semble plus probable dans les sociétés religieusement restreintes.
  2. Le livre traite de l’oppression religieuse menée par les gouvernements. Cependant, il existe d’autres moyens de mâter la religion, dont les restrictions sociétales. Souvent, les défenseurs les plus virulents des restrictions religieuses sont les groupes religieux dominants, qui appellent leurs partisans et les dirigeants politiques à priver les autres de leurs libertés religieuses ou à exclure leurs rivaux religieux. L’auteur justifie sa négligence de ces contraintes socio-religieuses qui alimentent le terrorisme par des motifs méthodologiques, car de telles restrictions sont souvent mises en œuvre par des organisations extrémistes (ou terroristes). Cela devra faire l’objet de travaux futurs sur la relation entre l’organisation sociale religieuse et le terrorisme.
  3. L’auteur n’exclut nullement l’importance des idées dans l’émergence du terrorisme religieux. La théologie politique « c’est-à-dire la pensée adoptée par un groupe religieux à l’égard du pouvoir politique » est d’une grande importance pour expliquer le terrorisme religieux. Les explications théologiques du terrorisme religieux montrent que la façon dont les extrémistes religieux interprètent les revendications fondamentales de leurs religions, les principaux textes sacrés, les doctrines historiques et les contextes contemporains peuvent leur inspirer de prendre les armes. De telles théologies peuvent également exister dans n’importe quel pays et fonctionnent parfois indépendamment du niveau de liberté religieuse dans le pays. Cependant, ces croyances tendent généralement à se radicaliser et à se répandre, dans des conditions de répression. Lorsque les militants religieux sont privés de l’indépendance et de la liberté de mener à bien leurs pratiques fondées sur la foi et la loi, et qu’ils souscrivent à une théologie politique avec laquelle ils voient la violence comme un moyen acceptable pour parvenir à leurs fins, le recours aux armes à feu devient plus probable.
  4. L’auteur ne prétend pas que la répression de la religion explique le terrorisme religieux dans tous ses aspects. Le terrorisme est un phénomène multiforme et très complexe, et il ne peut être réduit à une seule question. Il peut être causé par plusieurs facteurs: comme la désintégration économique, l’occupation étrangère, le sentiment d’oppression et la menace pour les modes de vie traditionnels, conduisant à l’exacerbation des troubles religieux, et constituant des facteurs de motivation pour la violence. Souvent, ces facteurs se combinent avec le déni de liberté religieuse pour alimenter les griefs et perpétuer les conflits.
  5. les États peuvent devenir plus répressifs en réponse aux attentats terroristes, créant un cycle prépondérant, interactif et continu. Les États répriment la religion, les groupes religieux résistent et ripostent, et la répression de ces groupes s’intensifie et le terrorisme devient un prétexte pour mâter plus la religion. Un examen approfondi des archives historiques montre que le terrorisme généralisé suit souvent les politiques répressives, plutôt qu’il ne les précède. Les gouvernements utilisent la menace perçue du terrorisme comme un outil pour justifier davantage de répression.
Relation complexe
La relation entre la liberté religieuse et le terrorisme n’est peut-être pas conforme au double arrangement linéaire, selon lequel plus de liberté religieuse signifie moins de terrorisme, et plus de répression de la liberté religieuse signifie plus de terrorisme. Certains voient la liberté religieuse sans restriction comme une opportunité pour les terroristes de rassembler des partisans et de diffuser leurs idées.

Il est facile pour certains pays de devenir plus restrictifs des libertés religieuses en réponse au terrorisme des groupes religieux, ce qui explique la corrélation entre la suppression des libertés religieuses et le terrorisme selon un mouvement circulaire qui prend deux formes. Le premier modèle: le gouvernement réprime les libertés religieuses, les groupes religieux y répondent par le terrorisme, et l’État intensifie la répression. Le deuxième modèle: les attaques terroristes par des groupes religieux se produisent dans des pays qui autorisent la liberté religieuse, l’État restreint alors ces libertés, de sorte que les groupes répondent par davantage d’opérations terroristes, ce qui fait accroître à la fois la restriction des libertés religieuses et les opérations terroristes.

L’auteur souligne que de nombreux dirigeants mondiaux ont livré leur guerre contre l’extrémisme et le terrorisme, souvent basée sur les restrictions de la liberté religieuse et la répression ayant affecté même les groupes non violents, obligeant les gens et les religieux à se raser la barbe, à travailler dans les institutions de l’État et pratiquer leur religion, outre les pratiques de l’extrême droite en Europe et en Amérique stigmatisant les minorités et les immigrés.

L’auteur affirme que ces pratiques constituent une mauvaise recette pour combattre le terrorisme. Elles fournissent au contraire un environnement fertile pour la croissance de l’extrémisme religieux et du terrorisme. Le conseil ultime que l’auteur donne aux responsables de ce dossier, c’est que la tolérance religieuse est l’arme la plus puissante face à la violence et à l’extrémisme religieux et que la répression de la liberté religieuse prive la société de l’apport positif de la religion et crédite les discours extrémistes affirmant que l’État ne traite pas équitablement les personnes religieuses. La violence religieuse se produit souvent lorsque l’oppression religieuse crée des griefs parmi les groupes religieux mâtés, et lorsque les groupes religieux majoritaires dans la société ciblent violemment les minorités religieuses. Ainsi le régime qui réprime la religion exacerbe les hostilités qu’il cherche à étouffer par cette oppression.

Il ne fait aucun doute que les groupes terroristes qui brandissent des bannières religieuses commettent des crimes qui poussent les États à recourir à la force et aux restrictions des libertés religieuses. L’auteur a analysé cette approche à l’aide d’une étude de cas comparative entre la France et le Japon, soulignant que les politiques répressives de la France contre l’islam à l’intérieur du pays et le militarisme à l’étranger ont produit des conséquences inattendues, à savoir les attaques de groupes terroristes. À l’inverse, le cas du Japon montre que lutter avec succès contre le terrorisme nécessite beaucoup moins de mesures, y compris le respect des droits religieux dans le pays et la prudence lors de l’utilisation de la force à l’étranger.

Brèches de l’extrémisme
L’auteur n’a pas perdu de vue l’autre point de vue qui dit que la liberté religieuse sans restriction ouvre les portes à l’extrémisme religieux, en particulier dans un monde interconnecté, où les idées extrémistes peuvent se propager très rapidement. Selon cette logique, les extrémistes religieux bénéficient d’environnements de liberté religieuse pour imposer leur vision de la religion. La répression religieuse peut entrainer l’augmentation du coût de l’insurrection et la lutte contre le terrorisme.

Ce raisonnement repose sur l’hypothèse que le libéralisme entrave les gouvernements et les empêche d’utiliser toutes les armes à leur disposition pour améliorer les politiques et les plans de lutte contre le terrorisme. De nombreux dirigeants à travers le monde ont adhéré à cette logique, selon laquelle dissuader résolument le terrorisme peut nécessiter de restreindre certaines libertés, comme la liberté religieuse au nom de la sécurité nationale, comme c’est le cas dans diverses parties du monde, au Moyen-Orient et en Afrique du Nord, en Asie centrale et en Europe, où la popularité des partis d’extrême droite a augmenté, tels que: le Front National français, le Parti Alternatif allemand, le Jobbik hongrois, le Parti de la Liberté autrichien et l’Aube Dorée grecque. Aux États-Unis, l’ancien président américain Donald Trump a ordonné de surveiller les quartiers à majorité musulmane, proposé de torturer les membres de famille de terroristes présumés et signé un décret exécutif interdisant temporairement l’entrée aux citoyens de sept pays musulmans.

Étant donné la réalité du terrorisme attribué à la religion actuellement, les dirigeants politiques de ces pays peuvent être pardonnés de croire que de telles mesures sont la meilleure arme face à l’extrémisme religieux violent. Mais ce livre conteste franchement et audacieusement ce point de vue et affirme que ces environnements répressifs qui étouffent la liberté religieuse et la pensée indépendante sont un terreau naturel pour le terrorisme et encouragent les discours des extrémistes prétendant que l’État est injustice envers les adeptes des religions.

Quant à ceux qui prétendent que les actions de répression ont conduit à des succès face aux menaces terroristes dans des pays tels que l’Argentine, le Sri Lanka et le Pérou, ils oublient que ces succès dans la lutte contre le terrorisme ont été obtenus contre des organisations terroristes laïques: (Monteneiros) en Argentine, les (Tigres Tamoul) au Sri Lanka, et le  (Sentier Lumineux) au Pérou.

La liberté combat le terrorisme
L’auteur conclut que les libertés religieuses résistent à plus d’un côté à l’extrémisme et au terrorisme. La liberté de pensée et l’échange d’idées ouvrent la voie à des idées modérées qui défient les idées des extrémistes religieux et font avancer la société dans son ensemble, avec la contribution de divers groupes sociaux et organisations dans la création d’établissements de services, médicaux et éducatifs. Ces libertés permettent même aux extrémistes de travailler dans des canaux légitimes et des espaces ouverts aux diverses idées politiques. Inclure les groupes religieux et les individus dans les processus politiques et protéger leurs droits religieux, dément les affirmations des extrémistes selon lesquelles la violence est nécessaire pour remettre en question le statu quo.

L’assouplissement des restrictions religieuses et la protection de la liberté religieuse créent une concurrence pacifique entre les groupes religieux dans la société, contribuant ainsi à un large éventail d’activités bénéfiques. En outre, la mise en place de systèmes favorables à la liberté religieuse réduit, à terme, la pression politique, la domination sociale des groupes extrémistes et la propagation du terrorisme religieux.

Si les guerres de religion ont appris à des générations d’Européens que l’imposition d’un consensus religieux ne fera qu’alimenter la violence sectaire, plutôt que de la réprimer, l’auteur nous appelle à tirer les leçons de l’expérience de la lutte contre le terrorisme et confirme la relation causale entre la persécution religieuse et le terrorisme religieux, ce que doivent comprendre les chercheurs, les décideurs politiques, les militants des droits de l’homme et ceux qui s’intéressent au terrorisme, à la violence politique, aux droits de l’homme, à la démocratie et aux relations internationales.

Conclusion 
Ce livre est classé parmi les études critiques qui cherchent à corriger les erreurs des efforts de lutte contre le terrorisme, en particulier celles liant le terrorisme à la religion. De nombreux livres et études ont analysé la relation entre le terrorisme et la religion, avec leurs différentes orientations et programmes, parfois totalement contradictoires, mais qui s’accordent à l’unanimité sur le fait que la religion est un aspect important du terrorisme contemporain. Certains chercheurs ont critiqué l’intérêt porté à la religion dans l’étude du phénomène terroriste et appelé à focaliser sur d’autres facteurs. Ils ont également fait valoir que l’intérêt pour la religion, en particulier la religion de l’Islam, dans de nombreuses études sur le terrorisme, est le résultat d’orientations politiques.

Bien que Samuel Huntington (1927-2008) ne se soit pas soucié du terrorisme dans sa célèbre thèse (Le choc des civilisations), nous constatons qu’il accordait beaucoup d’attention aux conflits religieux et supposait que les conflits entre grandes civilisations, dont beaucoup s’identifiaient à la religion, définira l’après-guerre froide. De nombreux chercheurs ont appliqué sa thèse au terrorisme, arguant que le terrorisme religieux de groupes comme Al-Qaïda représente un «choc des civilisations» entre l’Occident et le monde islamique, et en ont construit un modèle qui lie la croyance religieuse au terrorisme.

Cette tendance liant le terrorisme et la religion, en particulier l’islam, a reçu beaucoup de soutien après les attentats du 11 septembre, ce qui a conduit à repenser les politiques de sécurité nationales et internationales, et les décideurs ont pris au sérieux la menace de ce type de terrorisme. Les États ont lancé une campagne connue sous le nom de «Guerre mondiale contre le terrorisme» pour éliminer al-Qaïda et les groupes apparentés. Cette campagne comprenait l’invasion de l’Afghanistan un mois après les attaques de septembre, l’invasion de l’Irak en 2003 et l’occupation ultérieure de ce pays pendant dix ans, ainsi que les guerres de drones au Pakistan et au Yémen et les opérations spéciales dans des dizaines d’autres pays. 

Ce type d’études prétendent que la religion exacerbe le terrorisme et d’autres formes de violence. Ainsi, les études de Jonathan Fox soulignent l’impact significatif des conflits religieux sur l’échec de l’État et considèrent que les groupes religieux nationaux contribuent grandement aux conflits violents à l’échelle mondiale, et que les conflits religieux augmentent en nombre et en intensité depuis les années soixante-dix.

Quant à Bernard Lewis (1916-2018), le père spirituel des néo-conservateurs et théoricien de l’islamophobie, il lie l’islam au terrorisme dans son étude (Les racines de la colère musulmane), et soutient que la violence dans les pays islamiques est en étroite relation avec des éléments spécifiques de l’histoire islamique. Malgré la prédominance de ce point de vue au lendemain des attentats de septembre, de nombreuses études sérieuses le contredisent, tel Robert Pappe dans son livre (Terrorisme suicidaire), où il dit, « Le terrorisme suicidaire n’est pas motivé par l’islam ou une autre croyance religieuse, mais par l’occupation militaire et les sentiments nationalistes qui en découlent ».

Jonathan Fox, qui reconnaît la relation entre religion et violence, analyse la relation entre les populations musulmanes et la violence et constate que les musulmans ne sont pas plus violents que les autres groupes religieux. Fox a examiné quantitativement l’argument du choc des civilisations et affirmé qu’il y avait peu de preuves d’un choc à grande échelle entre musulmans et non-musulmans.

Certaines études critiques se sont intéressées au processus politique qui sous-tend les efforts américains de lutte contre le terrorisme, ce qui a conduit à accorder une trop grande importance au terrorisme religieux. John Esposito, dans son livre «La guerre impie », souligne la menace des groupes terroristes comme Al-Qaïda, mais commente: « Ces groupes sont motivés par la politique étrangère américaine, pas par l’islam ». Jocelyn Cesari, chef du Département de religion et de politique de l’Université britannique de Birmingham, commente: « L’Europe de l’Ouest et les États-Unis considéraient l’islam d’un œil sécuritaire et appelaient à détourner l’attention des universitaires de la religion -l’islam en particulier-vers le processus politique par lequel le terrorisme est devenu un souci mondial majeur après le 11 septembre ».

Des études ont analysé la relation entre les politiques religieuses des États et la menace terroriste. Par exemple, Daniel Philpott, professeur de sciences politiques à l’Université de Notre Dame, a expliqué que l’interaction entre la « théologie politique » des groupes religieux et l’attitude de l’État envers la religion peut expliquer si les groupes religieux sont pacifiques ou violents dans leur interaction avec l’État. D’autres études ont analysé la relation entre l’oppression religieuse et les hostilités religieuses et constaté que les politiques étatiques répressives augmentaient les troubles religieux dans la société, dont le terrorisme religieux.


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Numéro 36
Une publication mensuelle, qui propose une revue scientifique des ouvrages et des études remarquables traitant du terrorisme
25/04/2022 11:32