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Les réseaux derrière les logiciels d’armes improvisés de Daech
La défaite de l’organisation terroriste Daech a démontré l’efficacité de la Coalition internationale qui comprenait 83 pays et organisations internationales, et qui a pu éliminer l’État présumé établi en Irak et en Syrie. Bien qu’il ait été relégué dans une zone géographique infime qui ne dépasse pas 1% de la superficie de son Etat effondré, les craintes augmentent que l’organisation terroriste reprenne des forces, car elle a lancé plus d’une centaine d’attentats dans le nord-est de la Syrie en janvier 2021. Mais la question qui s’impose est de savoir comment ce groupe a pu contrôler des terres en Irak et en Syrie deux fois la taille du Liban, et comment a-t-il construit ses structures militaires ?

Plusieurs études ont tenté de répondre à cette question sous différents angles, notamment ce présent rapport international «Les réseaux derrière les logiciels d’armes improvisés de Daech» préparé pour l’Union européenne par la Fondation de Recherche sur l’Armement des Conflits (CAR), et qui examine les aspects cachés des programmes d’armement de Daech dont les lignes d’approvisionnement se sont étendues vers divers pays du Moyen-Orient et d’Europe, et l’ont aidé à établir son État présumé.​

Préambule 
Ce rapport examine les sources d’armement de l’organisation terroriste Daech entre 2014 et 2017, et comment ce groupe a mis en place l’une des unités de production les plus utilisées, spécialisée dans la fabrication d’engins explosifs et d’armes improvisés, fabriqués à partir de matériaux disponibles, tels que les déchets, les produits chimiques ménagers (détergents, etc.) et les matériaux en vente dans les commerces.

Grâce à des chaînes d’approvisionnement internationales, l’organisation a établi une base de production d’armes semi-industrielles dans les territoires qu’elle contrôlait, les forces ayant investi l’EI à cette époque ont confisqué des armes et des engins explosifs improvisés fabriqués en Europe et en Asie.

Les enquêtes de terrain menées par CAR ont cherché à cartographier ces chaînes d’approvisionnement internationales et ont identifié plus de 50 entreprises, dans plus de 20 pays, qui produisent ou distribuent des biens utilisés par l’EI pour fabriquer des engins explosifs improvisés (EEI), des drones et des systèmes d’armes improvisés.

Ces entreprises comprenaient des fabricants et des distributeurs de produits chimiques utilisés dans la production d’explosifs ou d’agents chimiques, des entreprises qui produisent des articles utilisés pour fabriquer les projectiles pour EEI, des producteurs d’explosifs à partir de matériaux disponibles dans le commerce et des entreprises qui fabriquent des produits complexes tels que les composants électroniques conventionnels et les drones disponibles sur le marché.

Dans ce rapport, les enquêteurs sur le terrain ont documenté plus de 40.000 armes, munitions et composants d’EEI traçables récupérés auprès de Daech en Irak et en Syrie. Depuis 2019, ils tentent de déterminer les méthodes de transfert des éléments clés de ces armes des distributeurs régionaux aux installations de production d’armes de l’EI. Les enquêteurs ont décortiqué les méthodes d’action des réseaux d’approvisionnement de l’EI et déterminé les modèles adoptés par ces réseaux, pour aider les fabricants, les distributeurs et les prestataires de services à identifier les indicateurs d’opérations d’achat suspectes et de détournements de destinations suspects par les groupes similaires ou affiliés.

Le rapport accorde une attention particulière à la manière dont les acheteurs se présentent aux fabricants et distributeurs commerciaux, à la nature des contacts avec eux, aux méthodes de paiement utilisées et à la manière dont les marchandises sont transportées.

Le rapport traite de cinq principaux groupes de produits utilisés par Daech pour fabriquer ses armes et ses explosifs :
  • Engrais composés de nitrates, utilisés dans la production d’explosifs artisanaux.
  • Pâte d’aluminium, également utilisée dans la production d’explosifs artisanaux.
  • Sorbitol, utilisé dans la production de carburant pour fusée.
  • Drones disponibles dans le commerce, utilisés par les combattants de l’EI, pour l’observation, le guidage de tir indirect et la livraison de petits EEI.
  • Articles achetés pour le développement ou la fabrication de drones et de leur armement, dont les moteurs, les systèmes optiques et les logiciels personnalisés.
Sources d’informations du Rapport
Pour recueillir des informations, les enquêtes de CAR ont commencé par le traçage officiel de marchandises et de composants commerciaux trouvés par les équipes d’enquête sur le terrain dans des usines d’armes abandonnées par les forces de Daech, et qu’ils ont documentées à la suite de la découverte d’EEI et d’armes improvisées utilisées dans les attentats commis par le groupe.

Pour établir les opérations de transport de ces articles, la fondation a interrogé des fournisseurs et des acheteurs en Europe, au Moyen-Orient et en Amérique du Nord, obtenu des documents de vente, de douane et de transport, examiné la documentation interne des forces de l’EI et les dossiers des tribunaux au Danemark, en Turquie et aux États-Unis, et identifié un éventail d’entreprises et de personnes de Hong Kong, Royaume-Uni, Émirats Arabes Unis, Liban et Turquie.

Les équipes d’enquête ont documenté les armes et les munitions illégales, ainsi que le matériel connexe dans les zones de conflit et retracé leurs sources d’approvisionnement. Elles ont examiné les armes de Daech saisies par les forces de sécurité gouvernementales, ou remises à la fin des affrontements, documenté tout cela avec des images, établi la date et les emplacements de la documentation et ajouté des données contextuelles dérivées d’entretiens menés par les enquêteurs avec les forces contrôlant ce matériel à la date de la documentation.

La Fondation n’a retracé qu’une partie du matériel documenté sur le terrain indispensable pour les enquêtes et susceptible d’être retracé. Elle a renforcé le traçage officiel des armes par l’analyse des preuves matérielles collectées à partir des armes et du matériel connexe, des documents gouvernementaux et commerciaux et des documents de transport, etc., et en interrogeant les personnes disposant d’informations sur les transferts de matériel examiné.

La Fondation a conservé tous les documents et notes recueillis par ses enquêteurs, tels que les entretiens, e-mails, enregistrements vidéo, photos et données obtenues auprès de tiers. Pour protéger ses sources, la Fondation ne publie pas tous les détails relatifs à ces sources ou aux circonstances dans lesquelles elle a obtenu certains éléments. Les sources ont mis tous ces éléments à disposition volontairement et en connaissance de cause de l’utilisation que la Fondation en fait. Pour des raisons de confidentialité, CAR ne désigne aucune personne par son nom, sauf dans le cas d’agents publics connus.

Le rapport a signalé que les références aux pays fabricants, sociétés, intermédiaires, distributeurs, utilisateurs finaux prévus ou autres personnes ou entreprises - ne signifient pas qu’ils étaient complices du détournement de leurs produits pour la fabrication d’armes de Daech, ou qu’ils ont agi contrairement à la loi, sauf indication contraire expresse.

Pâte d’aluminium
Le cycle de production d’armes de l’EI exige que les responsables des réseaux d’approvisionnement soient en mesure d’effectuer des achats fréquents au détail ou en gros, exploiter des sociétés enregistrées pour être utilisées comme vitrine pour les achats et les paiements importants, et pour organiser les services de soutien (logistique) liés à la livraison de marchandises au territoire contrôlé par Daech et transférer des fonds par virement bancaire. Par conséquent, l’organisation a utilisé des personnes, des entreprises et souvent des réseaux familiaux au Danemark, Royaume-Uni, Espagne, Syrie et Turquie pour effectuer ces tâches.

Les équipes d’enquête de CAR ont documenté entre 2015 et 2017 plus d’une centaine de caisses de pâte d’aluminium de fabrication chinoise, une substance vendue aux fabricants pour les peintures de protection, trouvés dans six sites distincts de production d’explosifs établis par Daech au centre de l’Irak. 

Toutes les caisses portent des étiquettes indiquant qu’elles sont vendues exclusivement à un distributeur de produits chimiques à Istanbul, et rien n’indique que ce distributeur était de quelque manière que ce soit complice de leur fourniture à l’EI, ou qu’il ait été impliqué dans d’autres actes répréhensibles. Ce distributeur à Istanbul n’a pas enregistré de ventes sur la base du numéro de série ou du lot avant 2018, et n’a donc pas été en mesure de déterminer l’identité de l’acheteur dans ces opérations documentées par l’institution en Irak. Cependant, le distributeur a mentionné qu’en examinant la liste des clients qui ont acheté de la pâte d’aluminium depuis 2013, il a remarqué une vente inhabituelle, qui était la vente d’une grande quantité à la fin de 2014 ou au début de 2015 qui s’élevait à six tonnes de pâte d’aluminium, en provenance d’un magasin de technologie de l’information. Cette quantité était la première et la seule que le magasin concluait avec ce distributeur. L’entreprise limitait son activité au commerce de téléphones portables et était un acheteur inhabituel de grandes quantités de pâte d’aluminium.

En juillet 2015, le propriétaire de l’entreprise, deux de ses frères et quatre autres hommes ont été arrêtés, après quatre mois de surveillance policière et ont été inculpés d’appartenance à une organisation terroriste armée. CAR n’a pas été en mesure de déterminer si les accusations étaient liées à la manipulation de la pâte d’aluminium. Les archives judiciaires turques indiquent que ces sept hommes faisaient l’objet de poursuites pénales depuis le 10 février 2016.

Le frère du propriétaire de l’entreprise a confirmé à CAR qu’il avait été emprisonné et libéré après 17 mois, après avoir fourni des registres de ventes et des listes de clients l’acquittant. La société a été dissoute le 21 octobre 2019. Le 18 novembre 2019, le Trésor américain a imposé des sanctions à deux personnes portant les noms du propriétaire de l’entreprise et de son frère, en plus d’une entreprise leur appartenant. Le ministère a prétendu que ces deux personnes et cette société ont fourni à Daech des équipements en 2015 et 2017 et ont agi en tant qu’agents d’achat pour le groupe. Les preuves recueillies par CAR confirment que ces deux individus ne dirigeaient pas l’entreprise en question, mais plutôt une personne et son neveu du même nom, et qu’ils n’avaient rien à voir avec cette affaire, et que le gouvernement américain n’avait imposé aucune sanction contre l’entreprise au moment de la rédaction de ce rapport.

En décembre 2014, Ibacstel Electronics Ltd, l’une des sociétés de Saif al-Haq Sujan au Royaume-Uni, a acheté un petit turbomoteur à un fournisseur allemand de turbines et de drones civils, et l’a payé 2400 euros, en virement bancaire depuis son compte. L’activité de l’entreprise concernait les ventes électroniques pour les restaurants et les entreprises de vente au détail et n’avait aucune relation apparente avec les drones. Lors de procès pénaux aux États-Unis et en Espagne, il a été établi que Sujan était associé à l’EI. Selon le FBI, Sujan s’est rendu à Raqqa, en Syrie, à la mi-2014 et a travaillé comme expert en technologies de l’information et en armes pour Daech.

L’US Air Force a rapporté qu’une frappe aérienne de la Coalition dirigée par les États-Unis a tué Saif al-Haq Sujan à Raqqa le 10 décembre 2015 et que son frère a été arrêté en Espagne le 22 septembre 2017 et condamné le 27 avril 2020 pour avoir financé aux Etats-Unis un partisan de Daech accusé de préparer un attentat terroriste.

Engrais pour la fabrication d’explosifs
Les enquêtes de CAR ont révélé un deuxième rassemblement familial lié à la chaîne d’approvisionnement de l’engrais à base de nitrate d’ammonium utilisé par Daech en Irak pour produire des explosifs artisanaux. La Fondation n’a aucune preuve que ce rassemblement familial et ses sociétés ont sciemment approvisionné Daech, ou étaient complices de contrebande de marchandises à travers la frontière turco-syrienne ou impliqués dans tout autre acte illégal. Cependant, l’emplacement de ce rassemblement familial, bien que par inadvertance, dans les chaînes d’approvisionnement de l’EI illustre l’importance des congrégations familiales dans le commerce transfrontalier que l’EI a exploitées pour soutenir sa production militaire. 

Les photographies prises au poste frontière d’Akcakale le 27 avril 2015 et vérifiées par CAR montraient des ouvriers locaux transportant des centaines de sacs d’engrais Vitagro à haute teneur en nitrate d’ammonium de l’ordre de 33 %, en provenance de la Turquie vers l’autre côté de la frontière dans la ville syrienne de Tell Abyad, alors sous le contrôle de Daech. Des journalistes ont été témoins de ce transfert et ont interrogé des riverains qui ont confirmé que les transferts transfrontaliers de nitrate d’ammonium avaient lieu depuis plusieurs mois. Les autorités turques de Şanliurfa ont déclaré aux journalistes que les citoyens syriens qui revenaient de Turquie en Syrie par le poste frontière d’Akcakale pouvaient traverser avec 30 à 40 sacs d’engrais à faible teneur en nitrates.

À noter que les engrais pauvres en nitrates peuvent être utilisés pour produire manuellement des explosifs après de nombreux traitements. Les engrais riches en nitrates sont beaucoup plus faciles à utiliser pour produire ces explosifs, ce qui explique pourquoi ils sont interdits dans nombre de pays. Suite aux reportages des médias sur le transport d’engrais à haute teneur en nitrates à travers la frontière, les autorités locales d’Akcakale ont interdit le passage de ces marchandises. Cependant, ce poste n’était pas le seul point de passage en Turquie utilisé par les réseaux de ravitaillement des forces de l’EI. CAR a obtenu des photographies prises en avril 2015 montrant des hommes non identifiés sur les rives de la rivière Balikh, au sud de la frontière turco-syrienne, à environ quatre kilomètres à l’est du poste frontière d’Akcakale, occupés à retirer des bidons de gaz et des bidons en plastique contenant divers produits chimiques de «nitrocellulose» et de pâte d’aluminium.

Les images suggèrent que les contrebandiers utilisaient aussi les voies navigables de la région pour transporter des matières explosives à travers la frontière turco-syrienne. En juin 2015, Daech a publié des images de propagande montrant des sacs d’engrais Vitagro dans une prétendue usine d’explosifs artisanaux à Fallujah, en Irak.

Le 10 octobre 2015, la Turquie a imposé des exigences supplémentaires aux distributeurs d’engrais à haute teneur en nitrate (33 % ou plus d’azote), dont l’identification de l’acheteur, et la soumission des dossiers de vente aux autorités locales. À la suite d’une série d’attentats à la voiture piégée en Turquie en juin 2016, le gouvernement turc a complètement interdit la vente locale d’engrais à haute teneur en nitrates.

Industrie de drones
Si les chaînes d’approvisionnement en produits chimiques représentent un risque de détournement des produits industriels courants, les efforts de l’EI pour développer de nouvelles d’armes improvisées constituent également un risque pour les fournisseurs de produits de haute technologie et de services techniques spécialisés.

Les spécialistes en armes de l’organisation terroriste ont acquis de l’expérience, construit des systèmes et des programmes en engageant des fournisseurs à leur insu et en utilisant des matériaux et des composants en partie fournis via des réseaux. Ils ont également cherché à exploiter les marchés mondiaux et électroniques pour obtenir du matériel et de l’expertise.

Daech a utilisé des drones en Irak et en Syrie depuis 2016 et pris grand soin des petits hélicoptères électriques, disponibles sur les marchés commerciaux du monde entier. La grande majorité de l’échantillon de drones documenté par CAR en Irak et en Syrie sont des avions à quatre hélices, de fabrication chinoise, soit 28 avions obtenus par les unités de défense et de sécurité irakiennes dans le cadre d’opérations lancées contre les forces de l’EI entre décembre 2016 et septembre 2019. Les techniciens de Daech ont introduit des modifications sur certains de ces appareils pour pouvoir larguer des types modifiés de munitions conventionnelles ou d’EEI sur des cibles au sol.

Contrairement aux achats de produits chimiques primaires et d’autres composants effectués par un petit nombre d’acheteurs en gros directement auprès de distributeurs régionaux, l’achat de quadricoptères reposait sur un plus grand nombre de fournisseurs, peut-être en raison de leur grande disponibilité chez les détaillants et de leur coût plus élevé nécessitant des virements bancaires importants, formels et traçables.

CAR a enquêté sur sept quadricoptères ayant appartenu à Daech en Irak, jusqu’à des distributeurs indépendants au Koweït, au Liban, à Singapour, en Turquie et en Ouzbékistan. La société a retracé certains de ces avions jusqu’à des ventes ultérieures en Irak et aux Émirats Arabes Unis, mais la façon dont ils ont atteint les forces de l’EI restait un mystère.

En novembre 2015, un distributeur libanais a vendu à une société irakienne spécialisée dans le domaine des technologies de l’information à Bagdad un de ces drones, faisant partie de cinq lots de 21 drones, entre août 2015 et mars 2016. Le même mois, le Trésor américain a imposé des sanctions à la société libanaise et à son PDG, affirmant que la société avait agi en tant qu’agent d’approvisionnement du Hezbollah et avait acheté des drones, des accessoires et divers équipements électroniques à des sociétés aux États-Unis, en Europe, en Asie et au Moyen-Orient.

Un distributeur à Singapour a reçu deux drones documentés en Irak et en a vendu un en août 2016, dans le cadre de la vente de 150 quadricoptères à une entreprise de vente, qui a informé CAR qu’elle avait vendu tous les drones à des clients qui paient en espèces via un magasin en ligne sans avoir conservé les registres de ses clients ni les numéros de série d’avions. Le distributeur a affirmé qu’il vendait environ 100 avions quadricoptères par mois à cette société, au pic de la demande fin 2015 et 2016, et que ce volume de transactions a diminué par la suite. 

Il convient de noter que le constructeur chinois de ces avions les a inclus dans les documents d’expédition en tant qu’appareils photo numériques, ce qui a rendu plus difficile le suivi des expéditions internationales de ces avions à l’aide des données douanières.

Depuis 2015, les technologues de l’EI ont également cherché à développer des drones plus gros et plus rapides propulsés par un moteur à jet d’impulsions, un type de moteur développé à l’origine pour les missiles de croisière V1 dans le style de (bombe volante) à l’époque de la Seconde Guerre mondiale, et n’est plus utilisé dans les gros avions depuis les années cinquante du siècle dernier, après les progrès rapides dans les conceptions du turboréacteur.

En août 2015, le fonctionnaire d’une entreprise technologique a acheté par voie électronique des conceptions pour un plus gros moteur à réaction, équipé d’une soupape avec une poussée d’environ 222 Newtons (50 livres) d’une entreprise américaine qui traite avec les amateurs avancés, et a envoyé un e-mail au propriétaire de l’entreprise pour savoir si le moteur pouvait être utilisé pour propulser un avion pesant 40 kg.

Pendant l’occupation de Mossoul, les forces de l’EI ont utilisé le complexe hospitalier d’Al-Shifa dans l’ouest de Mossoul pour stocker des armes et des munitions et pour produire des EEI aéroportés. En septembre 2017, on a trouvé un moteur à détonation pulsée (MDP) de 2m de long lors d’opérations de nettoyage de l’enceinte. Les moteurs trouvés là-bas indiquent qu’en plus des conceptions achetées par le responsable de l’entreprise technologique, les concepteurs de drones de Daech ont acquis de l’expérience avec les MDP auprès d’autres sources non spécifiées. La conception du MDP trouvé à Mossoul diffère des conceptions mentionnées précédemment. Les conceptions d’avions MDP sont disponibles auprès de diverses sources sur Internet, ainsi qu’auprès des fournisseurs spécialisés aux États-Unis et en Europe.

Des observations sur le terrain ont montré les efforts de Daech de fabriquer des drones plus gros que ceux disponibles sur les marchés et les chercheurs de CAR ont documenté une gamme de composants de drones dans les usines du groupe à Mossoul et Ramadi.

​Développement de systèmes anti-aériens

Les enquêtes de CAR ont confirmé qu’en 2015, les ingénieurs de Daech ont cherché à concevoir un système de suivi aéro-visuel, en tant que base d’un système anti-aérien automatisé. La même année, une société fictive enregistrée au Royaume-Uni créée par un concepteur d’armes de l’EI a conclu des contrats avec des fournisseurs en Amérique du Nord et en Asie pour des logiciels et des caméras automatiques de haute qualité et d’unités de contrôle de mouvement à des fins fictives pour développer un système optique capable de  détecter des objets volants, tels que des ballons météorologiques et d’enregistrer leurs emplacements, selon les dires de la société dans l’un des contrats. Puis la société a élargi ce pseudo-objectif pour inclure la surveillance de l’espace aérien des terres agricoles pour le suivi d’opérations de pulvérisation de pesticides, par exemple.

Le véritable objectif était d’utiliser des caméras montées sur des plates-formes mobiles. Lorsque le système identifie l’objet volant, toutes les caméras du système traquent alors cet objet, grâce aux techniques de contrôle de mouvement dans toutes les directions. Les représentants de la société écran ont pris soin de dissimuler leur identité et toute intention d’utiliser le système à des fins militaires, car ils ne communiquaient avec les sous-traitants et les fournisseurs que par e-mail et via des sites Web tiers, ainsi que par appels ou conversations via Internet.

La société a utilisé trois adresses e-mail alias et payé des fournisseurs via des bureaux de change par une personne à Hong Kong que CAR n’a pas pu identifier. Une fois, l’entreprise a dû payer 18.000 $ à un fournisseur de matériel informatique nord-américain par virement bancaire direct, car les autres types de transfert, comme les virements en espèces ou (PayPal), exigent la vérification de l’identité de l’expéditeur si le montant est important. Le représentant de la société a été informé que le virement bancaire se fera via l’une de ses filiales au Royaume-Uni ou à Hong Kong, mais le fournisseur a reçu un paiement à partir d’un compte bancaire turc d’une société tiers à Istanbul, appartenant à un citoyen turc qu’il a enregistrée cinq mois plus tôt en janvier 2015 comme une société de location de voitures de luxe. CAR n’a trouvé aucune preuve que cette société ou son propriétaire étaient au courant de l’implication d’agents de l’EI dans cette transaction, ou qu’ils étaient impliqués dans des actes illégaux.

CAR n’a pas trouvé de preuves concluantes que le système est complet, certains fournisseurs mettant fin à leurs contrats prématurément, après avoir commencé à se méfier de l’identité et des intentions de la société fictive. 

Résumé du rapport
Les chaînes d’approvisionnement transfrontalières de produits chimiques et de composants électroniques destinées aux régions syriennes contrôlées par Daech comprenaient l’approvisionnement centralisé, la réception et le transfert ultérieur de diverses marchandises de la part de réseaux familiaux le long de la frontière turco-syrienne. Les commandes de produits et les paiements présentaient de nombreux modèles inconnus selon la façon dont les clients se sont présentés et les procédures qu’ils ont suivies pour payer les produits et les services.

Les efforts de Daech pour acquérir la technologie et l’expertise et développer de nouveaux systèmes ambitieux d’armes, trahissaient des modèles incluant des (indicateurs suspects) qui témoignaient d’activités illégales en soi. 

De petits groupes d’individus et d’entreprises ayant des liens familiaux ont transféré des marchandises à travers différentes chaînes d’approvisionnement auxquelles Daech pouvait accéder et en profiter. Ces acheteurs et destinataires n’étaient pas entièrement visibles pour les producteurs et fournisseurs internationaux de ces marchandises. Dans la plupart des cas, ils n’étaient visibles que pour les distributeurs nationaux ou régionaux, c’est-à-dire à un niveau inférieur dans la chaîne d’approvisionnement. Ainsi, même si les principaux producteurs ou fournisseurs avaient échangé des informations à l’échelle mondiale sur des achats suspects, ils n’auraient peut-être pas réussi à identifier ces groupements familiaux et leurs connexions.

Le rapport évitait de blâmer les fabricants ou les distributeurs car aucun indicateur d’avertissement ne révélait de manière concluante des approvisionnements ou des activités militaires illicites, mais dans leur schéma cumulatif, ces indicateurs, sont suffisants pour avertir de la nécessité pour les fournisseurs de prendre des mesures supplémentaires de diligence raisonnable. 

Les exemples présentés dans ce rapport indiquent que les entités adjudicatrices de Daech ne s’appuyaient pas uniquement sur les réseaux personnels locaux mais utilisaient des plateformes commerciales mondiales pour le commerce électronique et le recrutement. Alors que la confiance personnelle pouvait être importante pour le premier type, l’EI a profité de l’anonymat relatif qui caractérisait le second type. Les acheteurs réglementaires effectuaient des paiements en petits montants via PayPal ou des virements internationaux, et utilisaient des adresses e-mail pseudonymes et des applications de messagerie pour traiter avec des fournisseurs et des sous-traitants potentiels habitués à travailler avec des clients internationaux usant de courriels et de logiciels de messagerie en tant que base de communication.

Certaines plateformes de passation de marchés en ligne ne vérifient pas l’authenticité des données des acheteurs ou des vendeurs. Les acheteurs de Daech ont pu traiter avec les fournisseurs en utilisant une Société Ecran fictive enregistrée aux noms d’administrateurs et d’actionnaires fictifs, dont les identités n’ont pas été vérifiées au Registre des sociétés du Royaume-Uni. En plus de la diligence nécessaire dont doit faire preuve le secteur privé, les services commerciaux des douanes et des gouvernements peuvent être en mesure de détecter des anomalies dans les opérations commerciales transfrontalières du type décrit dans ce rapport, concernant des produits tels que la pâte d’aluminium ou le sorbitol, en particulier si les exportations ou les importations de plusieurs types de produits chimiques primaires augmentent considérablement et simultanément.

Il est important de noter que les chaînes d’approvisionnement décrites dans ce rapport ne dépendent pas du contrôle territorial, de l’appropriation des biens ou des établissements commerciaux. Par conséquent, même si les forces de l’EI ne contrôlent plus le territoire, ses cellules présentes en Irak et en Syrie sont désormais plus actives, et la surveillance des signes avant-coureurs des transactions commerciales pour perturber les efforts d’armement de l’organisation terroriste restera un outil important pour lutter contre le retour du groupe ou l’émergence de ses successeurs.
30/05/2022 09:48