Un regard rétrospectif de l’histoire du Tchad révèle le caractère endémique de la violence confessionnelle orchestrée par une pluralité d’acteurs parmi les hégémonies locales et les organisations soufistes notamment la sanoussiya  qui s’est acclimatée au Sahara oriental dans la seconde moitié du 19e siècle.

Les attentats terroristes portant la signature de l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest, ex-Boko Haram, à l’intersection du takfirisme et de la criminalité se situent dans la continuité de la dynamique historique du Tchad et de la sous-région interrompue et/ou réorientée par l’agenda impérialiste.  Le terme attentat terroriste retenu dans ce texte s’accorde aux normes retenues par le National Consortium for the Study of Terrorisme définissant l’acte terroriste comme la menace de l’usage ou l’usage effectif de la violence illégale par un acteur non étatique dans le but d’atteindre un but politique, économique, religieux ou social.

Présentation des données:
Les données utilisées dans ce travail sont issues de la base de données de site web www.fondapol.com. On dispose de données des attentats terroristes dans le monde de 1979 à 2019.  Ce travail se limite aux données concernant le Tchad enrichies par de données collectées sur le terrain. Nous avons extrait les données journalières de janvier 2014 à décembre 2020, à partir desquelles nous avons réalisé des traitements mensuelles et annuelles. C’est à partir de ces traitements que nous avons réalisé ce travail. 

Etude Saisonnière
Nous avons tout d’abord entrepris de faire une étude de l’évolution de nombre de morts, de blessés et d’attentats en fonction des années. Le tableau ci-après présente les résultats de traitements effectués sur ces données et montre qu’en sept ans, le terrorisme de Boko Haram a perpétré au Tchad 50 attentats qui ont fait 683 morts et 910 blessés.



Le Tchad est devenu l’épicentre du mode opératoire de la secte Boko haram se présentant sous les formes suivantes: se tuer, se faire tuer, tuer, tuer en se tuant ou en se faisant tuer. Les figures suivantes sont représentatives de la fréquence des attentats, du nombre de morts et blessés, de la typologie d’attaque, de moyens utilisés, de la cible ainsi que de la région.




L’année 2015 est la période qui a connu plus de nombre de morts et blessés. Cela peut s’expliquer comme une riposte à l’implication des armées tchadiennes aux côtés des Etats de la sous-région dans la lutte contre la secte terroriste.

La proportion d’usage des bombes et charges explosives et des morts est élevée au cours de l’année 2015 comparativement à d’autres années. 

Les mois de mai, juin et juillet constituent la saison marquée par la recrudescence des attentats ayant entrainé un nombre élevé de morts. La saison de pluie en rendant davantage inaccessible la région du Lac Tchad fortement marécageuse, accorde plus de marge de manœuvre à la secte Boko haram expliquant en partie la multiplication des attentats. 

Les années 2014, 2015 et 2020 se caractérisent par un nombre important des morts. Ces dates correspondent à trois séquences : l’avant, pendant et l’après intervention militaire tchadienne dans la guerre contre le terrorisme. En 2014, le Tchad après avoir longtemps servi de base arrière et de plaque tournante devient la cible.  Boko haram en changeant de stratégie prend de cours l’Etat tchadien.  Le nombre de morts de l’année 2015 résulte des attentats perpétrés par la secte suite à l’intervention de l’Etat tchadien dans la coalition régionale contre le terrorisme. L’attaque de l’année 2020 se situe dans le contexte de l’affaiblissement de la secte consécutive aux opérations militaires des Etats. À travers l’attaque 2020, la secte manifeste ses capacités opérationnelles. Les attaques armées et les cibles militaires en se classant au premier rang dénotent des incursions de la secte traduisant son évolution marquée par des offensives en vue de s’étendre et/ou de contre offensives pour riposter. A l’instar d’Al Qaida, de l’Etat islamique et d’autres organisations terroristes, les militaires sont les principales cibles.

La région du lac du fait de sa proximité à l’épicentre de la crise et son écosystème marqué des marécages la rendant difficilement accessible, s’est retrouvée dans l’orbite de la secte.  Avec les attentats de N’Djamena, la secte Boko haram cherche à démontrer sa capacité de nuisance hors de son fief.

Perspective
Au cours de ce travail, nous avons exploré les outils basiques de la statistique unie et variée. La base de données des attentats islamiste dans le monde de 1979 à 2019 constitue un énorme volume de données dont les possibilités d’exploration dépasse le cadre de la statistique classique.  

Les perspectives du traitement des (big data) sont énormes et renferment de nouvelles possibilités d’exploration de l’information de phénomènes religieux, culturels, et politiques. La (Machine Learning) est une nouvelle méthode d’analyse de bases de données massives permettant d’automatiser le développement de modèle analytique. Les deux principales méthodes de Machine Learning les plus utilisées sont l’apprentissage supervisé permettant la prédiction d’une variable et l’apprentissage non supervisé permettant la compréhension de la structure de base de données.

Jusqu’à là, le terrorisme cerné exclusivement à travers les méthodes de sciences sociales et humaines obéissant à deux principales logiques : militaro sécuritaire et/ou développementaliste se caractérise par la description, la narration et à l’analyse du phénomène du terrorisme passé ou en cours. 

L’approche combinatoire –sciences sociales et humaines et informatique appliquée- représente une perspective innovante tant du point de vue de son approche analytique que dans le traitement des masses d’informations. Ce qui permet de déboucher sur des études à caractère prédictive permettant d’anticiper sur les événements.

Conséquences
Depuis le début de la crise sécuritaire, la province du lac Tchad a accueilli environ 8300 réfugiés, 13 000 retournés et 124 342 déplacés. Cela produit des conséquences désastreuses sur la configuration sociale de la région. Déjà meurtrie par plusieurs décennies de guerre que le pays a connue pour avoir abrité certains mouvements d’opposition armés tels que le Mouvement pour la Libération du Tchad et le Mouvement pour la Défense de la Démocratie. En étant sur la ligne de mire de la secte Boko haram, la région connait non seulement une diminution de son potentiel agro-halio-pastoral mais aussi une croissance exponentielle de tous les facteurs de sa vulnérabilité et de sa déconstruction.





Au-delà de la déstabilisation de l’équilibre social marqué par des déplacements massifs des populations, la destruction des systèmes de solidarité traditionnelle, l’émergence des valeurs et pratiques pernicieuses comme le trafic des stupéfiants, des armes légères et de petits calibres, l’idéologie de la secte Boko haram à l’égard de l’école occidentale semble avoir pignon sur rue ainsi que l’attestent les propos du genre:
Avec un taux d’analphabétisation se situant au-delà de 90%, on peut souligner que la conjonction des facteurs structurels et conjoncturels dont le discours contre l’éducation occidentale véhiculé par l’Etat islamique en Afrique de l’Ouest concourt au décrochage scolaire. Les attentats perpétrés par l’organisation Etat islamique produisent un choc dont l’ondulation impacte sur tous les secteurs de la société tchadienne. Le bouleversement des circuits d’échanges terrestres et lacustres se traduisant par l’apparition des axes nouveaux contribuent à la cherté de la vie engendrée par l’augmentation des prix des produits de première nécessité.

Les dépenses militaires représentent 6,6% du produit intérieur brut en 2011 à cause de l’impératif de paix et de la lutte contre le terrorisme. De même, les mesures prise par l’Etat dans le cadre de la lutte contre le phénomène du terrorisme et d’extrémisme violent qui sont entre autres l’adoption de la loi anti-terroriste, le couvre-feu , le déploiement des forces de défense et de sécurité , les campagnes de sensibilisation, la création de structures d’assistance aux victimes, constituent un problème pour les finances de l’Etat fortement touchés par la baisse de cours du brut et les mesures élaborées dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid 19.